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ENM : Les défis de Nathalie Roret

Bordeaux - Nommée en 2020 à la tête de l’unique école de formation des magistrats, Nathalie Roret cumule les premières. Elle est la première femme à avoir été nommée directrice de l’École nationale de la magistrature (ENM). C’est aussi la première fois que ce poste n’est pas confié à un magistrat. Depuis 2020, cette ancienne avocate mène l’institution vers l’ouverture, aussi bien dans les enseignements que dans les recrutements, alors qu’elle doit former 1500 auditeurs de justice d’ici à 2027.

Nathalie Roret, ENM

Nathalie Roret, directrice de l'Ecole nationale de la magistrature ©D.R.

Échos Judiciaires Girondins : À la fois première femme directrice, et de surcroît non magistrate, est-ce que votre nomination à l’ENM en 2020 a été une surprise ? Avez-vous hésité à accepter ce poste stratégique ?

Nathalie Roret : « Étonnée ? Oui et non. Disons que ça a été une décision inattendue, que je n’avais pas sollicitée. Mais je n’ai pas été surprise car je savais que c’était un désir pour les magistrats de développer le savoir être ensemble et j’avais déjà beaucoup travaillé là-dessus. J’ai tout de suite adhéré, même si j’ai dû réfléchir avant d’accepter car c’est véritablement une mission. Incontestablement, on a travaillé à l’amélioration des relations interprofessionnelles. »

 

EJG : Vous déclariez à votre arrivée vouloir améliorer les relations entre les professions d’avocat, de magistrat et aussi de greffier, atteignez-vous votre objectif ?

N.R. : « On y a travaillé et réfléchi. Au-delà des symboles, nommer un profil comme le mien à la tête de l’ENM, et en miroir, un magistrat, Gilles Accomando, à la tête de l’école de la formation du barreau, qui est l’école qui forme le plus d’avocats par an. On travaille beaucoup ensemble. On arrive maintenant à des projets de loi d’orientation ou organique, et également à des décrets, dans l’idée d’améliorer le relationnel au sein de la communauté judiciaire. »

ENM, Bordeaux

Le bâtiment de l’ENM, dans le centre-ville de Bordeaux ©artiste associe photographes Bordeaux

 

EJG : Quels ont été vos premiers chantiers et défis ?

N.R. : « La première chose que j’ai faite a été de me questionner : qu’est-ce que je peux apporter à cette école ? J’ai imaginé que la meilleure méthode était de passer par une réflexion collective. On a donc proposé un questionnaire à l’ensemble de la communauté ENM, et même au-delà à des partenaires de justice et des magistrats en juridiction. Comment doit se projeter le juge dans le futur proche ? Comment voyez-vous les nécessités d’adaptation et d’évolution de la formation ? Il fallait que j’arrive à garder tout ce que cette école a d’excellent puisqu’elle est hautement appréciée, et même enviée par l’avocature. Mais elle doit aussi répondre à des critiques plus larges qui ne sont pas propres à la seule formation des magistrats : trop fermée et refermée sur elle-même. Il fallait améliorer cette image. Ce questionnement large, qui nous a occupé toute l’année 2021, a abouti à des recommandations. Nous avons travaillé utilement car ces réflexions se sont retrouvées dans celles des États généraux de la Justice et maintenant dans les évolutions textuelles et dans les projets de loi qui vont être soumis au Parlement. »

Nous avons proposé de professionnaliser l’enseignement à l’ENM, tout en conservant le critère de la formation par les pairs

EJG : Quels sont vos principales propositions ?

N.R. : « Principalement professionnaliser l’enseignement à l’ENM, tout en conservant le critère de la formation par les pairs. Selon les critères européens, cette formation doit être assurée majoritairement par des formateurs magistrats. Mais majoritairement ne veut pas dire exclusivement. On s’est rendu compte, à l’occasion de cette réflexion collective, qu’il y avait une volonté de travailler différemment en juridiction. C’est quand même l’année où il y a eu la Tribune des 3000 (tribune de novembre 2021 évoquant la souffrance du milieu judiciaire, NDLR), ainsi que notre promotion 2022 Tribune des 3000. Pour professionnaliser, il fallait aller chercher des compétences ailleurs. J’ai pu dire, ça peut paraître provocateur mais ça ne l’est pas : « Il faut sortir du dogme du magistrat qui sait tout et peut tout transmettre ». Ça a été vrai à une certaine époque, mais aujourd’hui avec les spécialités qui sont demandées et la réorganisation du travail du magistrat, il faut savoir manager. Pareil pour le numérique ou la politique de l’amiable. Moi-même formée au MARD, je pense qu’il faut faire venir des médiateurs. Il faut aussi des compétences en communication judiciaire, pour qu’elle ne soit pas réservée aux seuls parquetiers, et que tous les magistrats soient à l’aise avec ça. Il fallait ouvrir les textes pour permettre ça et proposer un toilettage des décrets qui régissent les emplois, les faire passer au conseil d’administration de l’école qui doit décider de son organisation, puis par décret au Conseil d’État. C’est un parcours qui nécessite de la réflexion, du temps, de l’action. Cela a abouti puisque le Conseil d’État a validé le projet. Nous avons voulu également aller voir comment on formait dans les autres écoles du service public, tout en ayant en tête la singularité de l’école de la magistrature en tant que membre de l’autorité judiciaire. On a toujours conscience de tout ça pour travailler avec les principes d’impartialité, d’indépendance, de loyauté. Pour autant, on ne doit pas s’interdire la pédagogie pour adulte et nous avons maintenant des conseillers pédagogiques. Ce qui nous permet concrètement d’enseigner telle matière sous un format conférence, ou sous un format de mise en situation, ou sur un format de classe inversée. »

 

EJG : Il y a un second axe sur le recrutement des auditeurs…

N.R. : « Effectivement, l’autre projet qu’on a porté, ce sont les différents modes de recrutement. On s’est interrogé sur les façons d’enrichir le corps de la magistrature de profils plus variés que ceux qui le composent jusqu’à présent. Quand on regarde notre panel des promotions, c’est relativement stéréotypé, même si on travaille sur la diversité. Dès mon arrivée, j’ai essayé de travailler sur un maillage territorial pour créer des classes prépa-talents à la recherche de pépites. C’est aussi pour lutter contre cette auto-censure chez certains de nos jeunes ou moins jeunes qui pensent que la magistrature est réservée à une élite à laquelle ils n’appartiennent pas. C’est réservé à des gens qui travaillent, qui ont un sens fort du service public, de l’intérêt général mais ça peut être ouvert à beaucoup plus de monde. On a créé de nouvelles classes prépa, avec des jeunes boursiers et talentueux à Besançon, Orléans, Lyon (avec un partenariat qui pourrait s’ouvrir sur Saint-Étienne) et bientôt Limoges. L’idée est de recruter ailleurs qu’à Sciences Po et les meilleurs de la faculté de droit. On a pour ces classes prépa-talents des résultats supérieurs au concours étudiant : autour de 27%, parce qu’on porte les candidats et qu’on travaille sur un mentorat avec des magistrats en juridiction. Pour autant, un plafond de verre subsiste sur la culture générale : l’épreuve du grand oral qui ne porte pas ce nom est difficilement accessible, d’où l’idée de préparer un concours prépa-talents mieux adapté à l’état de culture contemporaine de ces candidats. ».

On s’est interrogés sur les façons d’enrichir le corps de la magistrature de profils plus variés

EJG : Avec 380 auditeurs, cette année compte la plus grosse promotion, avec l’objectif d’augmenter encore davantage. Comment l’école y fait face ?

N.R. : « L’un des enjeux actuels, c’est d’augmenter le nombre d’élèves de chaque promotion, dans des proportions que l’école n’a jamais connues. La promotion 2023 est une première petite marche puisqu’on doit former, jusqu’en 2027, 1500 magistrats. Ce qui veut dire qu’on va augmenter les promotions pour atteindre entre 500 et 600 auditeurs. L’objectif est bien sûr de garder la qualité de l’enseignement, ce qui nous a contraint à exprimer nos besoins et à réfléchir à la logistique. Sur le plan immobilier, nous avons recherché un site supplémentaire pour la rentrée 2024 pour dédoubler nos promotions. Cela nécessite l’aménagement d’un amphithéâtre de 300 personnes et de nouvelles salles d’études. Un nouveau site mitoyen de la clinique Bordeaux Nord est en construction, le projet s’appelle Archipel ! Il y aura des échanges entre les deux sites. Cette école neuve répond à nos ambitions en termes de RSE et de sobriété énergétique. C’est aussi à proximité d’un quartier de reconquête républicaine, ça donne du sens à une école de la République qui forme des magistrats dont le métier est de comprendre les concitoyens et d’être au cœur de la cité. »

 

EJG : Y a-t-il un plan de développement, des moyens supplémentaires ?

N.R. : « Il y a à la fois un plan de développement sur le parc immobilier mais également en expression des besoins avec de nouveaux postes de formateurs. On a obtenu 26 nouveaux postes, on en aura largement autant en 2024. Sur le plan de la logistique, il s’agit de définir comment on va faire circuler nos auditeurs et répartir les enseignements sur ces deux sites. C’est le travail de mon directeur adjoint en charge de la formation. »

Un site supplémentaire, mitoyen de la clinique Bordeaux Nord, verra le jour à la rentrée 2024, pour dédoubler les promotions.

EJG : Quels sont les profils des étudiants ? Existe-t-il des passerelles, des voies de reconversion ?

N.R. : « Il suffit de regarder les statistiques des promotions… Même si on a 40% de public en reconversion, essentiellement des juristes assistants ainsi que des avocats, la majorité est issue du premier concours Sciences Po et Droit. Il faudrait simplifier les voies de recrutement à la magistrature, actuellement au nombre de 11 avec des subtilités que je ne vous décrirai pas ! Nous voudrions conserver le concours étudiant, le concours fonctionnaire et ramasser les autres voies dans un concours avec un jury plus professionnalisé. Il pourrait comporter d’autres professions, un spécialiste du recrutement, un psychologue clinicien, un avocat, un universitaire, un magistrat, un conseiller d’état, etc. L’idée est de travailler sur un recrutement qui validerait les compétences professionnelles. Dans cet axe, on pourra attirer des compétences qui viendront enrichir la magistrature. »

 

EJG : Quelles relations entretenez-vous avec l’école des avocats Aliénor ?

N.R. : « Elles sont excellentes, tout comme avec la bâtonnière Christine Maze. On mène des réflexions ensemble. Il y a eu un événement très symbolique : lors de la prestation de serment 2023 qui a lieu à la cour d’appel, on est revenu vers l’ENM en longeant l’école des avocats. Cette année, tous les avocats sont sortis et applaudissaient de façon extrêmement conviviale et joyeuse le cortège des magistrats. C’était une très belle image. J’ai beaucoup travaillé avec le nouveau président de l’école, Manuel Ducasse qui était président de la commission formation du Conseil National des Barreaux au moment où j’y siégeais. Il siège d’ailleurs au jury de l’ENM ! C’est très imbriqué, il y a d’autres exemples. On mélange les corps et les personnes. Actuellement on met un élève avocat dans le cadre de son PPI (projet pédagogique individuel avec stage hors cabinet d’avocat dans le cadre de la formation) par groupe de 20 élèves magistrats. Pendant 6 mois, il se forme comme les magistrats, cela crée d’excellentes liaisons. »

 

Une carrière d’engagements

Ancienne avocate en charge de contentieux, Nathalie Roret a passé plus de 30 ans inscrite au Barreau de Paris. Durant sa carrière, elle a rempli plusieurs mandats notamment en tant que membre du Conseil de l’Ordre et du Conseil national des Barreaux. Parallèlement à cette activité, elle s’est formée au MARD (Modes Amiables et Alternatifs de Règlement des Différends) : « Ça a du sens dans ce que l’on développe actuellement à l’ENM », exprime-t-elle. En 2020, alors qu’elle est vice-bâtonnière du Barreau de Paris, elle est nommée directrice de l’École nationale de la magistrature (ENM) par le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti.

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