Couverture du journal du 04/03/2025 Le nouveau magazine

Entrepreneurs et banquiers, dépasser les clichés

Les banquiers jouent un rôle crucial auprès des entrepreneurs. Alors que leurs relations ont tendance à se distendre, comment limiter les écarts de représentation entre ces deux partenaires et dépasser l'impasse des clichés ?

entreprises, reprise

© Shutterstock

« Qui peut faire de la voile sans vent ? » a bercé l’enfance de nombre d’entre nous, nous enseignant combien nos compagnons de route sont essentiels. Comme la mer autrefois, l’entrepreneuriat attire aujourd’hui de nombreux aspirants, souvent motivés par le désir de liberté et d’indépendance.

Mais derrière l’image d’Épinal d’un entrepreneur idéalisé, les exigences du quotidien rappellent les dirigeants à une réalité plus prosaïque. Ils doivent se confronter à une série de défis, auxquels ils sont bien souvent insuffisamment préparés, que ce soit pour les anticiper ou pour mettre en œuvre les actions correctrices indispensables. On pourra souligner ici les déboires rencontrés lorsqu’il s’agit de recruter puis de fidéliser des collaborateurs versatiles. On pourra également citer l’incapacité de certains entrepreneurs à gérer la complexité administrative et la constellation d’interlocuteurs au sein de l’environnement d’affaires, dont la bonne connaissance facilite pourtant le développement de l’entreprise.

Parmi les nombreuses relations nécessaires au cheminement entrepreneurial, les banquiers jouent évidemment un rôle crucial. Autrefois partenaires proches des entrepreneurs, ils sont désormais questionnés dans ce rôle par des décisions de plus en plus automatisées, dictées par des algorithmes et des feuilles de calcul. Entre des entreprises sans entrepreneurs et des banques sans banquiers, on ne peut que se demander comment rétablir un meilleur équilibre entre ces deux partenaires d’affaires.

Des entrepreneurs non gestionnaires

Beaucoup d’entrepreneurs se lancent dans l’aventure avec l’idée de créer, d’innover et de se libérer des contraintes du salariat. L’indépendance est alors pensée comme un eldorado permettant d’échapper aux embarras et de s’approprier d’avantage de valeur créée. Exit les contraintes hiérarchiques ou organisationnelles et les charges indues, le néo-entrepreneur peut désormais porter librement son projet et laisser place à son talent.

Pourtant, la gestion quotidienne d’une entreprise nécessite un état d’esprit et des savoir-faire, dont la portée n’a pas été toujours pleinement mesurée par le néophyte. C’est particulièrement le cas des compétences administratives pour gérer les contrats, suivre les activités courantes de l’entreprise, sa trésorerie, ses comptes ; c’est encore le cas en gestion des ressources humaines, des dimensions souvent négligées ou sous-estimées par les béotiens. Cette face « cachée » de l’entrepreneuriat peut rapidement devenir un fardeau pour ceux qui ne s’y sont pas préparés.

En effet, une frange substantielle des entrepreneurs, absorbés par leur vision métier, néglige les aspects financiers et administratifs de leur activité. Les témoignages des accompagnateurs d’entrepreneurs convergent tous pour souligner les limites des compétences de ces derniers en techniques et pratiques de gestion. Une illustration récurrente est la confusion fréquente entre chiffre d’affaires, bénéfices et trésorerie de l’entreprise. Une autre tient à la relation distanciée entretenue avec les « sachants », au premier rang desquels on pourra citer l’expert-comptable, coupable idéal dès que surviennent les premières difficultés de l’entreprise. La qualité et la proximité de la relation avec ce professionnel du chiffre sont pourtant essentielles pour faire les bons choix au bon moment. Cette méconnaissance peut ainsi conduire les entrepreneurs à des décisions hasardeuses, à des erreurs de gestion coûteuses et parfois à l’échec tant redouté.

Former en amont : une solution nécessaire mais absente

Banquiers, experts-comptables, organisations publiques et structures d’accompagnement s’accordent pour souligner les enjeux d’une meilleure préparation des entrepreneurs sur ces problématiques de gestion. Pour pallier ces lacunes, une formation adéquate avant le lancement d’une entreprise serait bénéfique, comme celles offertes par les chambres consulaires, notamment le traditionnel stage de préparation à l’installation (SPI) de la chambre des métiers.

Une formation adéquate avant le lancement d’une entreprise serait bénéfique

Plus encore, un « permis d’entreprendre » pourrait permettre aux futurs entrepreneurs de comprendre les responsabilités et les défis qui les attendent. Malheureusement, ce n’est pas la direction prise par les récentes réformes, telles que la loi PACTE, qui favorisent plutôt une simplification de la création d’entreprise avec notamment l’abaissement du capital social minimum à un euro et l’abandon de l’obligation de formation préalable à l’installation. Autrefois, les artisans bénéficiaient de formations obligatoires dispensées par les chambres des métiers, mais ces exigences ont été supprimées.

Aujourd’hui, la priorité semble être de faciliter la création d’entreprises pour réduire les chiffres du chômage, au détriment d’une préparation rigoureuse des entrepreneurs. Des travaux sont néanmoins en cours à l’initiative du tribunal de commerce, des chambres consulaires et de l’ordre des experts-comptables, notamment pour renforcer les capacités de gestion des entrepreneurs. L’enjeu d’une montée en compétences de ces derniers est d’autant plus fort que l’environnement d’affaires et ses exigences ont énormément évolué ces dernières années.

Les banquiers, prisonniers d’Excel ?

Les apporteurs de ressources financières que sont les banques ont notamment connu des évolutions allant dans le sens d’une distance accrue entre l’entrepreneur et leur partenaire financier. D’aucuns décrivent désormais les conseillers financiers comme des « banquiers tableur Excel », prenant des décisions basées principalement sur des données chiffrées. Il y a vingt ans encore, un taxi pouvait remettre une comptabilité sur un morceau de papier à son conseiller qui connaissait l’activité de son client et savait quelle confiance porter à ces quelques chiffres. Ceux-ci sont désormais insuffisants pour satisfaire aux exigences fortes tirées par des dispositifs prudentiels comme ceux de Bâle, qui encouragent la centralisation du traitement des informations.

Cependant, une telle évolution limite aussi les opportunités de rapprochement entre le banquier et l’entrepreneur, en écartant de la décision une part importante des informations. Elle vient aussi limiter le recours à l’intelligence subjective et au jugement discrétionnaire, autrefois valorisés dans la profession bancaire et que l’on ne retrouve aujourd’hui plus que dans certaines branches spécifiques comme l’agriculture ou la viticulture dans notre région.

Ce changement a engendré une relation plus standardisée avec les entrepreneurs. Les décisions de crédit, par exemple, procèdent d’algorithmes qui ne tiennent pas compte des spécificités de chaque projet et apparaissent peu appropriés aux spécificités des microentreprises. Cette standardisation peut parfois pénaliser des entreprises pourtant viables mais atypiques, qui ne rentrent pas dans les cases définies par les modèles financiers. On comprend alors que le manque de compétences gestionnaires de certains entrepreneurs soit source de difficultés. La capacité à divulguer de l’information formalisée à son banquier est effectivement devenue indispensable, en gardant en tête que les exigences vont encore se renforcer dans les années à venir avec les attentes croissantes en matière de données extra-financières.

Des entreprises pourtant viables mais atypiques, qui ne rentrent pas dans les cases définies par les modèles financiers, peuvent être pénalisées

Mieux former les banquiers à la gestion des difficultés

Pour améliorer la qualité de l’accompagnement des dirigeants des plus petites structures, une meilleure formation des banquiers aux réalités entrepreneuriales paraît essentielle. En leur apprenant à évaluer les projets de manière plus nuancée et contextuelle, on pourrait restaurer une part de discernement et d’humanité dans leurs décisions. Un banquier bien formé pourrait ainsi distinguer une entreprise viable en difficulté passagère d’une entreprise structurellement déficiente. Sans être de l’« à peu près », il s’agit bien ici de prendre en compte un spectre plus large d’informations dans la décision et laisser place à une subjectivité assumée venant enrichir les fondements comptables de la décision.

Mais une telle approche peut entrer en opposition avec les exigences de gestion des risques attendues par les organisations bancaires d’une part, par le législateur et les autorités de contrôle des activités bancaires d’autre part, et les attentes des épargnants qui pourraient être réticents à voir leur pécule financier orienté vers des placements perçus comme approximatifs.

En définitive, s’il est important de trouver un modus vivendi permettant de mieux préparer les entrepreneurs en amont pour les rendre « accompagnables », il paraît tout aussi capital d’investir dans le développement des compétences des accompagnants. En réintroduisant des formations obligatoires pour les entrepreneurs afin qu’ils puissent gérer les aspects administratifs et financiers de leur entreprise, et en sensibilisant les banquiers à une évaluation plus contextuelle et nuancée des projets d’affaires et de la difficulté entrepreneuriale, on peut effectivement espérer limiter les écarts de représentation entre ces deux partenaires. Ce serait assurément un pas important vers une meilleure collaboration entre ces deux acteurs essentiels de notre économie.