Couverture du journal du 12/04/2024 Le nouveau magazine

La commande publique sous les feux de l’actualité

Rares, décidément, sont les périodes où la commande publique n’occupe pas une place de choix dans l’actualité juridique.

commande publique

© Shutterstock

Sans même revenir sur l’arsenal de textes que le Gouvernement a dû, entre les mois de mars et octobre derniers, adopter dans l’urgence imposée par la crise sanitaire qui a subitement frappé notre territoire, conduisant d’ailleurs ainsi à la naissance d’un véritable droit spécial de la commande publique au temps de la pandémie de Covid-19 (v., notamment, notre commentaire de l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d’adaptation des règles de passation, de procédure ou d’exécution des contrats soumis au Code de la commande publique, EJG du 8 mai 2020), les conséquences, sans cesse plus étendues, provoquées par cette épidémie qui n’en finit pas, ont amené les parlementaires à saisir l’occasion de l’examen du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique, qui concernait assez peu, au départ, la commande publique, pour y introduire diverses dispositions la touchant très directement. Dispositions qui ont été validées (avec quelques précisions) par le Conseil constitutionnel (décision n° 2020-807 DC du 3 décembre 2020).

Outre la création d’un dispositif pérenne permettant, en cas de circonstances exceptionnelles, d’adapter les règles fixées par le droit commun de la commande publique – c’est le sens de l’autorisation donnée au Gouvernement de mettre en œuvre par décret, dans ce type de circonstances, des mesures dérogeant aux règles normales de passation et d’exécution des marchés publics et des concessions (art. 132) –, la loi (n° 2020-1525) dite ASAP promulguée le 7 décembre dernier renforce, dans le prolongement d’une ordonnance (n° 2020-738) du 17 juin 2020 qui avait instauré trois séries de mesures ayant pour objectif de soutenir les entreprises fragilisées par la crise sanitaire, la protection de celles qui sont placées en redressement judiciaire, tant lors de la passation d’un marché public ou d’une concession que durant leur exécution (art. 131). Désormais, en effet, une entreprise admise à la procédure de redressement judiciaire mais bénéficiant d’un plan de redressement ne peut plus être exclue d’une consultation lancée en vue de la conclusion d’un contrat public.

La loi ASAP renforce la protection des entreprises placées en redressement judiciaire tant lors de la passation d’un marché public ou d’une concession que durant leur exécution

Cyril CAZCARRA,
avocat, associé-gérant NOYER-CAZCARRA Avocats à Bordeaux – Maître de conférences associé, Université de Bordeaux © D. R.

Parallèlement, lorsque le titulaire d’un marché public ou un concessionnaire est admis à la procédure de redressement judiciaire en cours d’exécution de son contrat, celui-ci ne peut plus être, dorénavant, résilié pour ce seul motif : il sera donc maintenu, sauf en cas de refus ou de silence de l’administrateur judiciaire mis en demeure de le poursuivre ou de défaut de paiement de certaines créances exigibles au cours de la période d’observation. Ce qui imposera ainsi aux acheteurs publics et aux autorités concédantes d’être encore plus vigilants sur la santé financière de leurs cocontractants. La loi ASAP entend également faciliter, dans un but d’accélération de leur signature, les marchés (et avenants) sans formalités dans les secteurs confrontés à des difficultés économiques significatives ou qui constituent des vecteurs essentiels du plan de relance annoncé, le 3 septembre dernier, pour redresser l’économie et bâtir la « France de demain » (art. 131). Dès lors, en effet, qu’un « motif d’intérêt général » le justifiera, un acheteur pourra passer un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables. Cette dérogation laisse, à première vue, pantois le juriste attentif, qui sait que cette notion fonctionnelle n’est a priori pas faite pour permettre d’écarter volontairement les règles de mise en compétition des opérateurs économiques, notamment au regard des exigences imposées, à cet égard, par le droit communautaire.

La Direction des affaires juridiques (DAJ) du ministère de l’économie et des finances a donc dû immédiatement préciser que cette dérogation n’est pas laissée à la libre appréciation des acheteurs publics et qu’elle ne pourra jouer que lorsque les règles de publicité et de mise en concurrence habituellement applicables apparaissent « manifestement contraires » au motif d’intérêt général invoqué. Mais aussi, pourrait-on ajouter, lorsqu’elle sera compatible avec le droit de l’Union européenne. Au point qu’elle ne devrait concerner, en pratique, que les marchés inférieurs aux seuils des directives européennes.

Par ailleurs, et afin de contribuer à la reprise de l’activité dans le secteur des chantiers publics, la loi ASAP, poursuivant un mouvement enclenché, dans le même objectif, par une ordonnance (n° 2020-893) adoptée le 22 juillet 2020 (qui avait notamment relevé le seuil de dispense de procédure à 70 000 € HT pour les marchés publics de travaux jusqu’au 10 juillet 2021), rehausse, jusqu’au 31 décembre 2022, à 100 000 € HT le seuil en-dessous duquel un marché public de travaux peut être passé sans publicité ni mise en concurrence (art. 142).

Cette même loi du 7 décembre dernier prévoit aussi l’obligation de confier à des petites ou moyennes entreprises (PME) ou à des artisans une part de l’exécution des marchés publics globaux, qui voient ainsi leur régime en matière d’accès des PME-TPE s’aligner sur celui des marchés de partenariat. Pérennisant, en effet, le dispositif qui avait été prévu par l’ordonnance précitée du 17 juin 2020, son article 131 prévoit que le titulaire d’un marché de conception-réalisation, d’un marché global de performance ou d’un marché global sectoriel est tenu de confier à des PME ou à des artisans une quote-part minimale des prestations, laquelle devant d’ailleurs constituer un critère d’attribution du marché global concerné.

Rendre la clause environnementale et l’étendre à tous les marchés publics

Comme si ces nouveautés apportées par la loi ASAP (et encore n’avons-nous sélectionné que les principales !) ne suffisaient pas à maintenir en éveil les donneurs d’ordre publics et les opérateurs qui choisissent de participer à la commande publique, deux nouveautés majeures vont découler de l’adoption très probable du grand projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique qui devrait être présenté le mois prochain.

« Rendre la clause environnementale obligatoire et l’étendre à tous les marchés publics » : reprenant partiellement une proposition émise par la Convention citoyenne pour le climat (objectif 7), qui a voulu « envoyer un signal fort » aux organismes publics en leur imposant d’utiliser l’achat public comme levier pour inciter les entreprises à s’engager dans la transition écologique, l’article 15 de ce projet de loi impose aux acheteurs publics de prévoir, pour choisir toute offre, au moins un critère de sélection prenant en compte ses caractéristiques environnementales. Obligation qui s’ajouterait à celle, déjà existante, d’intégrer les objectifs de développement durable lors de la définition du besoin.

En outre, les clauses figurant dans tout marché public devraient désormais prendre en compte des considérations liées aux aspects environnementaux des travaux, services ou fournitures objets du marché.

Enfin, concomitamment à ce verdissement de la commande publique, la DAJ de Bercy a dévoilé officiellement, avec d’ailleurs quelques mois de retard par rapport au calendrier initialement prévu, les projets des cinq Cahiers des Clauses Administratives Générales (CCAG) réformés et du tout nouveau CCAG des marchés de maîtrise d’œuvre, dont on attend beaucoup. Ces documents, qui doivent en principe entrer en vigueur le 1er avril prochain, ont été livrés à la consultation publique, selon la même méthode que celle qui avait été retenue lors de l’adoption du Code de la commande publique (v., à cet égard, notre commentaire in EJG du 27 juillet 2018), afin de permettre aux professionnels intéressés de présenter des propositions d’amélioration de leur rédaction. On le voit : même en période de crise aiguë, la commande publique n’est pas la laissée pour compte des pouvoirs publics.