L’épidémie de Covid-19 et ses suites ont amené les dirigeants d’entreprise et leurs conseils à anticiper plus encore qu’auparavant l’impact d’une maladie ou d’une absence prolongée du dirigeant sur la pérennité de l’entreprise et sur sa situation financière.
Le dirigeant en tant que mandataire social agit au nom et pour le compte de la société. Il ressort des dispositions de l’article L.210-9 alinéa 2 du Code de commerce (pour les sociétés commerciales) que ce mandat est opposable aux tiers à compter de l’accomplissement régulier des formalités de publicité à moins que la société n’établisse que les tiers avaient personnellement connaissance des changements intervenus. Le dirigeant, au contraire des associés, a un rôle actif au titre de la gouvernance de la société.
Quand nommer un dirigeant en remplacement ?
Que prévoit la loi en cas de maladie ou de décès du dirigeant ? En réalité, la dégradation de l’état de santé du dirigeant ou son décès, dans le pire des cas, n’emporte pas de réelle conséquence pour la société qui lui survit. Il appartient alors aux associés de garantir la continuité de la gouvernance soit dans les statuts soit dans un acte adjoint. Ce point est néanmoins très souvent sous-estimé. Par peur ou par inconscience du sujet.
Il arrive dans de nombreux cas que le décès du dirigeant personne physique unique entraîne une paralysie de la société. Cela est d’autant plus vrai quand ce même dirigeant est associé/actionnaire unique de la société. En pratique, plus personne ne peut signer de document. Si l’incapacité du dirigeant est avérée, les mandats qu’il a pu lui-même donner à un tiers (salarié par exemple) n’ont plus d’effet par application de la loi.
Le décès du dirigeant n’entraîne pas le décès de la société elle-même. Il n’en est que le représentant légal et son mandat s’interrompt par le décès. La solution existe : nommer un autre dirigeant en remplacement. Mais quand ? Et surtout qui ? Et si ce même dirigeant était l’associé/actionnaire unique : qui va décider de nommer un nouveau dirigeant puisqu’il n’y a plus d’associé/actionnaire ?
Et si le dirigeant tombe gravement malade, sans décéder, pendant cette situation de fait, qui va assurer la gouvernance et sur la base de quels fondements légaux ? Si personne n’est juridiquement en capacité de décider au sein de la société (associé/actionnaire unique, dirigeant unique en état d’incapacité), que se passe-t-il ?
Si personne n’est juridiquement en capacité de décider au sein de la société, que se passe-t-il ?
Tous ces sujets frappent malheureusement la société au moment où ses associés/actionnaires ne sont pas toujours en capacité d’y réfléchir. Si la loi n’impose rien à ce sujet, il importe que les associés/actionnaires (et encore plus l’associé/actionnaire unique) aient conscience de ce risque et l’anticipent en mettant en place des outils juridiques permettant d’assurer la continuité de gouvernance (a minima jusqu’à une modification des associés/actionnaires par suite de la succession par exemple). Le mandat de protection future et le mandat à effet posthume permettent notamment de parer à ces risques en organisant une forme de succession patrimoniale et professionnelle de l’associé/actionnaire dirigeant bien plus large que la société, puisque cela pourra embrasser l’entièreté du patrimoine de la personne à protéger.
Le mandat social à effet différé : Pourquoi y recourir ?
D’abord parce que c’est un outil flexible. Si la loi prévoit que par principe un mandat social prend effet au jour de sa désignation rien n’interdit de donner, conventionnellement, à ce mandat un effet différé dans le temps.
Il est ainsi possible de prévoir une date ou un événement fixe. Rien n’interdit par exemple que les associés/actionnaire (ou l’associé/actionnaire unique) désignent un mandataire immédiat et décident conjointement de désigner un mandataire dont le mandat prendra effet soit en cas de décès du mandataire initialement désigné soit en cas d’incapacité de ce dernier.
Il suffit pour cela de fixer les critères dans l’acte de nomination. Cela peut être dans un procès-verbal ou dans les statuts. La mention dans les statuts présente l’avantage d’un caractère incontestable par les tiers.
Ainsi, si le décès du premier mandataire est défini comme cause d’activation du mandat d’un nouveau mandataire désigné, ce mandat prendra effet le jour même du décès, assurant ainsi une continuité de la gouvernance, sans même avoir à formaliser une nouvelle décision. Il conviendra de procéder à la publication de la décision prise initialement au moment de l’activation (publicité légale et formalité à faire auprès du Registre National des Entreprises/ Registre du Commerce et des Sociétés). Ce mécanisme est particulièrement intéressant quand le mandataire décédé se trouve être aussi l’associé/actionnaire unique, et donc de fait, dans l’incapacité de prendre la décision de nommer son successeur.
Cela permet par ailleurs aux associés de déterminer un successeur, au fait des affaires de la société en amont. Ce mandat demeure par ailleurs révocable à tout moment tant qu’il n’a pas pris effet sans pour autant devoir être contraint par les dispositions de la révocation du mandat pour faute.
De la même façon rien n’interdit de retenir comme élément déclencheur l’état d’incapacité du dirigeant nommé. Il suffira de prendre acte de l’incapacité du dirigeant, comme c’est le cas en mandat de protection future, par un certificat médical, pour que le mandat de direction du nouveau dirigeant prenne le relais et interrompe le mandat précédent (ou non selon la formulation à définir).
Il sera utile de prévoir un mécanisme de retour par lequel le mandat du dirigeant simplement suspendu reprend son cours à l’issue d’une maladie. Il conviendra néanmoins de faire attention au mécanisme de renonciation par le dirigeant à effet différé de son propre mandat (cela supposerait qu’il démissionne de son mandat par exemple en SARL, pour éviter le risque d’une révocation sans faute). Rappelons pour le cas de la SARL, par ailleurs que le gérant peut démissionner à tout moment dès lors que cette démission n’est pas équivoque. On évitera simplement de recourir à la démission en blanc car elle pourrait être facilement requalifiée en révocation non justifiée.
Quand envisager le mandat à effet différé ?
Tout d’abord, ces dispositions sont d’ordre général et peuvent s’appliquer dans toute société quelle que soit sa forme. Néanmoins, cela présente un intérêt dès lors que le mandataire est une personne physique. De ce fait, en SARL ou en SNC par exemple, ce mécanisme présente d’autant plus d’intérêt.
Il est par ailleurs judicieux d’envisager une telle solution dès lors que ce dirigeant unique sera également associé unique (par exemple gérant unique de SARL à associé unique ou président personne physique de SASU).
À noter que cette nomination à effet différé peut intervenir à tout moment pendant la vie sociale. Il est donc tout à fait possible de faire une publication en cours de vie sociale pour anticiper ce sujet.
Cette nomination à effet différé peut intervenir à tout moment pendant la vie sociale
Dès la constitution d’une société dont le dirigeant unique est l’associé unique personne physique, il y aura tout intérêt à prévoir ce mécanisme. D’autant plus quand la société va recourir à l’emprunt (dont l’associé unique pourrait par ailleurs être la caution personnelle et à coupler éventuellement avec une assurance homme clé à ce titre).
Se posera aussi la question dès lors que la société a une activité réglementée et que le dirigeant doit être inscrit auprès d’un ordre professionnel (architecte par exemple). Il y aura tout intérêt à désigner un salarié ou un tiers pouvant revendiquer cette qualité pour assurer la pérennité de la gouvernance dans le respect des règles ordinales et éviter ainsi une nomination temporaire par l’ordre professionnel.
Quand faire les formalités de prise d’effet du mandat différé ?
Les formalités à effectuer aux fins de déclarer le dirigeant nommé de façon différée dans le temps sont à réaliser au moment de l’entrée en fonction et non dès la prise de décision. La publicité auprès du Registre National des Entreprises, au Registre du Commerce et des Sociétés et la publicité légale seront différées au moment de la prise d’effet du mandat social et non au jour de la décision de nomination.
De ce fait, tant que l’événement convenu n’est pas survenu, il n’y a aucun formalisme particulier à effectuer à l’égard des tiers. Cette solution présente ainsi l’avantage d’une totale transparence à ce titre pour les tiers tant que le mandat n’entre pas en fonction. À ce titre, il n’est donc appelé aucuns frais de publicité ni aucune charge ou cotisation sociale à ce titre.