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Le recul du trait de côte

CHRONIQUE DES NOTAIRES DE LA GIRONDE - À l'occasion du 120e congrès des notaires de France à Bordeaux du 25 au 27 septembre prochain, un sujet essentiel pour notre région sera abordé. La 1re commission de ce congrès professionnel, composée d’Éric Meiller, notaire à Saint-Chamond, Catherine Berthol, notaire à Strasbourg et Adeline Seguin, notaire à Dunkerque, se penchera sur celui du recul du trait de côte.

Philippe LAVEIX, notaire, Congrès des notaires

Me Philippe LAVEIX © Bruno Lévy

Durant leurs travaux, et après de multiples recherches et auditions, dont celle de monsieur le maire de Lacanau, ces derniers ont fait un constat : les espaces maritimes français s’étendent sur plus de dix millions de kilomètres carrés. Les 20 000 kilomètres de côtes françaises (deuxième espace maritime mondial derrière les États-Unis) présentent une rare richesse paysagère et écologique. Mais en métropole, ce sont plus de 2 800 kilomètres de littoral qui sont artificialisés. Sur ceux-ci, la densité de population est 2,5 fois plus élevée que la moyenne hexagonale.

Les formes multiples du littoral ont pour trait commun de muter de façon naturelle au gré du temps, des aléas climatiques et des facteurs humains, puisque les espaces maritimes et littoraux connaissent une forte attractivité et une forte pression de densification.

Plus de 20 % du trait de côte est en recul

L’évolution géographique du littoral

Le trait de côte a toujours été en mouvement. L’euphorie des « Trente Glorieuses » a pu faire croire que l’Homme pouvait « stabiliser » la côte. Après guerre, les projets d’aménagement du littoral se sont alors multipliés. Toutefois, près d’un quart des côtes françaises serait touché par le phénomène d’érosion des côtes. Confronté au besoin de précision, le CEREMA a mené, en 2018, des travaux sur l’indicateur national de l’érosion côtière sous l’égide du ministère de l’Environnement. Il en résulte, que :

– plus de 20 % du trait de côte est en recul ;

– les côtes basses sableuses évoluent davantage que les autres types de côtes.

Tous les départements français sont concernés par le phénomène, mais de façon différente. La Gironde n’est bien sûr pas épargnée.

Inexorable, la transformation du littoral conduit à s’interroger sur la pérennité des infrastructures littorales et côtières, qu’il s’agisse d’habitations principales ou secondaires, de commerces, d’industries et d’équipements divers.

Comment se matérialise le recul du trait de côte

Il convient de distinguer, selon la nature du littoral :

– dans les cas de côtes basses, le recul résulte d’un déficit chronique et généralisé du bilan sédimentaire ; phénomène connu depuis l’époque gallo-romaine, évalué à deux mètres par an en moyenne (largement au-delà lors d’épisodes de tempêtes).

– dans les cas des côtes à falaises le phénomène est plus lent à s’opérer, mais il est brutal lorsqu’il se produit. Les influences du continent s’ajoutent ici à celles de la mer. Deux types de recul sont à distinguer. D’une part, un recul par effondrement d’un pan de falaise, dont le pied a été attaqué par les vagues. D’autre part, un recul par glissement, caractéristique des sols à nature argileuse, et pour lesquels les eaux continentales ont un impact non négligeable.

Le recul du trait de côte reste un phénomène naturel, résultant de l’action combinée des éléments sur le littoral. Le mécanisme peut toutefois être renforcé par les activités anthropiques (surfréquentation des cordons dunaires ; activités économiques conduisant à l’édification d’ouvrages côtiers et à l’extraction de matériaux…). Enfin, la tendance globale est au recul du rivage par montée des eaux. Le CEREMA considère que les zones les plus vulnérables sont les deltas (comme la Camargue), les zones estuariennes telles celles de la Gironde, et les zones de marais et lagunaires.

La tendance globale est au recul du rivage par montée des eaux

Comment régler les difficultés induites par le recul du trait de côte

Faut-il protéger quoi qu’il en coûte et reconstruire à tout prix ? Ou bien faut-il changer notre façon d’envisager la propriété, et laisser la Nature reprendre ses droits ?

La première stratégie imaginée est toujours celle de l’ouvrage défensif. Un exemple célèbre est la digue de la pointe du Cap-Ferret sur laquelle un propriétaire a réalisé d’importants investissements controversés pour lutter contre l’érosion marine, notamment l’édification d’une digue de plus de 450 mètres, financée sur ses fonds personnels, en 1986, afin de protéger sa propriété. En sens contraire, le recul peut être considéré comme une mesure économiquement moins coûteuse à long terme que le recours aux ouvrages de protection, et surtout plus respectueuse de l’environnement. Toutefois, cette dernière option n’est acceptée par la société que pour les terrains non urbanisés. Pour prévenir un risque de menace pour la sécurité publique, le maire peut intervenir au titre de son pouvoir de police administrative générale ou de son pouvoir de police administrative spéciale de la sécurité et de la salubrité des immeubles, en vue par exemple d’ordonner l’évacuation d’un immeuble ou d’interdire son accès.

S’il appartient aux maires de prévenir les risques d’accident, une jurisprudence classique précise qu’il ne leur revient pas, de même qu’à l’État, d’effectuer des travaux visant à protéger les propriétés riveraines du domaine public maritime naturel. De tels travaux de défense incombent aux riverains.

Contrairement au risque de submersion marine, pour lequel des mesures d’indemnisation sont disponibles au titre du « fonds Barnier », aucune mesure n’existe pour le risque d’érosion, différence justifiée par le caractère prévisible du risque.

La réponse juridique : le dispositif trait de côte

La loi « Climat et Résilience » du 22 août 2021 a posé un cadre juridique nouveau, mais sélectif. Sélectif, car il ne concerne que le recul du trait de côte (et non la submersion). Sur la base de cartographies du risque, les communes sont invitées à établir les règles adaptées à leurs territoires. La réforme est génératrice d’une lourde responsabilité pour les élus locaux. L’objet de la réforme est de connaître l’évolution du recul du trait de côte, présenter les outils juridiques nécessaires pour gérer les biens existants et vulnérables, encadrer les nouvelles constructions, permettre la recomposition spatiale.

Afin de compléter cet arsenal, le législateur a permis au gouvernement de légiférer par voie d’ordonnance. Ceci afin de créer un nouveau régime de bail réel immobilier de longue durée, le « bail réel d’adaptation à l’érosion côtière » (BRAEC) ; de définir ou d’adapter les outils d’aménagement foncier et de maîtrise foncière nécessaires à l’adaptation des territoires concernés ; de prévoir et de définir des dérogations à la loi Littoral lorsqu’elles sont nécessaires à un projet de relocalisation ; de prévoir des mesures d’adaptation en outre-mer.

Il s’agit notamment de faciliter la maîtrise foncière des terrains directement exposés au phénomène, par les collectivités et les acteurs publics ou parapublics.

Un décret fixe la liste des communes dont l’action doit être adaptée aux phénomènes hydrosédimentaires entraînant l’érosion du littoral

Un décret fixe la liste des communes dont l’action doit être adaptée aux phénomènes hydrosédimentaires entraînant l’érosion du littoral. La liste est établie sur la base du volontariat. Elle est révisée tous les neuf ans.

L’inclusion d’une commune dans le dispositif a des conséquences :

– à titre obligatoire, les communes dont le territoire n’est pas couvert par un plan de prévention des risques littoraux prescrit ou approuvé sont tenues d’établir une carte locale d’exposition dudit territoire au recul du trait de côte ;

– à titre optionnel, les communes dont le territoire est couvert par un plan de prévention des risques littoraux prescrit ou approuvé peuvent prévoir d’établir une carte locale de projection du recul du trait de côte. Si la carte n’est pas établie, les dispositions du PPRL continueront de s’appliquer, mais la commune ne pourra pas utiliser les nouveaux outils prévus par la loi Climat et Résilience.

La question du recul du trait de côte devient donc essentielle dans les éléments d’informations fournies par les notaires lors des transactions immobilières…

Mais pas que ! En effet, ce sujet imprègne de nombreux pans du droit et aura, inévitablement, un impact sur les questions d’évaluation immobilière et foncières dans le cadre des actes de droit de la famille, de valorisation des terres dans les actes agricoles, ou de responsabilité en droit des sociétés.

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