Elle ne fait pas partie du convoité FT120, le label décerné par le gouvernement français pour identifier les start-up en phase d’hyper croissance. Et son dirigeant se tient méticuleusement en retrait de la scène médiatique. La pépite Nfinite, née à Bordeaux en 2017, aurait presque pu passer inaperçue si elle n’avait pas levé la coquette somme de 100 millions de dollars en 2022. Et si son investisseur pour cette série B n’avait pas été l’un des plus importants fonds au monde, avec 90 milliards de dollars d’actifs sous gestion, le new-yorkais Insight Partners, spécialisé dans les entreprises technologiques.
Des salariés à San Francisco
Dans les bureaux de la start-up, nichés dans un immeuble de la rive droite bordelaise, pas de toboggan, ni de décorum superflu. Mais une soixantaine de salariés affairés, en communication permanente avec leurs 40 homologues, basés dans les locaux parisiens de la société, et la quarantaine de salariés installés à San Francisco. Tous occupés à faire tourner la machine Nfinite dont le rouage principal, sa plateforme Saas (pour « software as a service »), permet aux e-commerçants de créer en quelques clics des visuels de qualité à partir d’une modélisation 3D de leurs produits. But, Leclerc ou Conforama ont fait confiance à la jeune entreprise. Pour ce dernier, Nfinite a remplacé les photos de son catalogue par de la modélisation 3D.
En un trimestre, en 2021, on a signé trois des cinq plus grands retailers du monde »
Et la technologie développée par l’entreprise girondine durant trois ans a traversé l’Atlantique. « En un trimestre, en 2021, au lancement de la solution, on a signé trois des cinq plus grands retailers du monde », se remémore Alexandre de Vigan, PDG et cofondateur de Nfinite, sans toutefois les citer. Confidentialité oblige.
L’origine : Hubstairs
A 37 ans, le Bordelais énumère les succès de ses équipes autant qu’il confesse ses erreurs. Et le chemin n’a pas été sans embûches. « Notre histoire, ce n’est pas celle des génies de la tech qui se réveillent avec une super idée et font de leur entreprise une licorne (start-up valorisée à plus d’un milliard de dollars, ndlr) en trois mois », admet Alexandre de Vigan. Il aura fallu quatre années de tests, d’études de marché, de pivots avant que le business ne décolle.
En 2017, l’entreprise naît sous le nom d’Hubstairs. Dès le départ, le cœur du réacteur, c’est l’image. « Mais on s’était focalisé sur le secteur de l’immobilier pour améliorer l’expérience d’achat ou de location d’un bien en ligne. On s’est dit que l’humain, les photographes, ne pouvaient pas répondre aux besoins du secteur, il fallait utiliser la techno et la 3D », relate Alexandre de Vigan. Hubstairs permet alors aux professionnels de l’immobilier de décorer, grâce à sa technologie 3D, des biens souvent vides. Dans le même temps, Hubstairs décline son offre en BtoC pour aider les acheteurs à aménager leur bien immobilier, en combinant leur technologie maison et les services de décorateurs partenaires.
Une collaboration avec Ikea
« Rapidement, on se rend compte que le marché de l’immobilier est intéressant mais trop restreint. Tu fais un achat immobilier en moyenne tous les 10 ans. Si on voulait avoir un impact plus grand, il fallait que l’on s’oriente vers des achats plus récurrents, le e-commerce », déroule le dirigeant. En 2018, Hubstairs entame alors un premier virage et s’oriente vers les professionnels du mobilier. « Notre promesse est simple : avec la 3D, on peut créer plus de contenus, plus immersifs, tu peux mettre les produits en situation », détaille-t-il.
L’outil développé par Hubstairs attire même l’attention d’un poids lourd du secteur. « On a commencé à collaborer avec Ikea sur des technologies dynamiques. En 2019, je suis parti 6 mois en Suède pour intégrer leur centre de recherche. On faisait partie des 10 start-up au monde sélectionnées », explique Alexandre de Vigan.
Notre promesse est simple : avec la 3D, on peut créer plus de contenus, plus immersifs, tu peux mettre les produits en situation »
Quelques semaines plus tard, la crise liée à l’épidémie de covid-19 commence à poindre. « Tous les budgets innovation de nos clients s’arrêtent. On doit opérer un nouveau pivot. On commence à réfléchir à la façon d’utiliser tout ce qu’on avait appris depuis 3 ans pour répondre à un besoin immédiat de nos clients ». Le monde est confiné. Les ventes du commerce en ligne atteignent des sommets mais les revendeurs ne peuvent plus faire de shootings pour leurs produits. Le business d’Hubstairs prend tout son sens.
L’American Dream
On est en 2020, Hubstairs devient Nfinite. « On a adapté la technologie pour permettre aux équipes de nos clients retailers de créer en quelques clics n’importe quel visuel produit. On a tout investi là-dedans pendant un an », continue-t-il. En janvier 2021, la plateforme est en ligne. C’est à ce moment-là que l’entreprise décroche ses premiers clients aux États-Unis, parmi les plus gros retailers du monde. De quoi déclencher rapidement une levée de fonds en série A de 15 millions de dollars auprès du fonds US Venture Partners. Ce premier tour de table lui permet de recruter une équipe sur place.
Les revenus de l’entreprise, générés par les abonnements vendus pour accéder à sa plateforme en ligne, sont multipliés par 10 en 2021. Quelques mois plus tard, en juin 2022, Nfinite annonce sa série B de 100 millions de dollars avec Insight Partner. Ses revenus (que l’entreprise n’a pas souhaité communiquer) triplent par rapport à 2021. Et ils devraient encore tripler en 2023. Il faut dire que les potentialités offertes par le marché sont quasiment infinies : selon Statista, le secteur de l’e-commerce connaîtra une croissance mondiale de 50 % d’ici 2026 pour atteindre 7 400 milliards de dollars. Pour la seule France, les ventes sur internet approchaient les 147 milliards d’euros en 2022, en hausse de 13,8 % sur un an.
Leader de l’e-merchandising
« Nos chiffres doublent tous les ans chez chaque client, c’est déjà énorme. Mais est-ce qu’on multiplie par 100 ? Non, alors que le marché le permettrait », nuance Alexandre de Vigan. « On pense qu’on est en train de créer une catégorie dans le marketing qu’on appelle le e-merchandising. C’est créer des expériences visuelles produit afin d’augmenter les ventes », insiste-t-il. Fini le shooting en studio, gourmand en temps et en capitaux, les revendeurs entrent sur la plateforme les caractéristiques du produit, transmises par le fournisseur. En quelques clics, la représentation 3D de leur produit est utilisable sur tous leurs canaux de communication, print ou web. Nfinite fournit une bibliothèque de décors pour mettre en scène leurs produits, les adapter, les tester, les mettre à jour en continu.
Quant au rendu final, impossible de faire la différence entre une photo et son jumeau numérique. « On est les seuls à pouvoir digitaliser des catalogues de la 2D à la 3D, à l’échelle », se réjouit le jeune dirigeant. « Beaucoup d’acteurs se concentrent sur le futur de l’expérience de shopping en ligne : la réalité augmentée, le metavers etc. Nous répondons à un besoin immédiat des retailers ».
400 salariés en 2024
Maintenant que Nfinite a trouvé son modèle, elle va s’attacher à l’optimiser. Et les projets pour 2023 sont nombreux. « Nous allons continuer le développement aux États-Unis qui génèrent 70% de nos revenus. L’enjeu est de continuer à grandir chez nos clients existants et d’en attirer de nouveaux », détaille le PDG.
Nous allons continuer le développement aux États-Unis qui génèrent 70% de nos revenus »
Outre la France et les États-Unis, Nfinite va entamer son développement en Allemagne et en Angleterre avec des clients et des équipes sur place. « On devrait réaliser 10 % de notre chiffre d’affaires en Allemagne et 5 % au Royaume-Uni en 2023 ». Enfin, la start-up voudrait nouer des partenariats pour être intégrée dans l’écosystème logiciel du retail. « Aujourd’hui on est une brique à part. On pourrait grandir via des partenariats pour être nativement intégré à leurs solutions », indique Alexandre de Vigan. Son Graal ? Atteindre le géant de Mountain View, Google. « Plus nos clients seront incités à utiliser sur d’autres outils les visuels qu’ils ont créé avec nous, plus on aura de valeur pour eux. Mon objectif, c’est de faire de Nfinite le leader mondial du e-merchandising ».
En attendant, la start-up devra renforcer ses équipes, notamment en France où est basée l’intégralité de sa R&D. Après avoir doublé ses effectifs en 2022, elle devrait atteindre 400 salariés en 2024.
Alexandre de Vigan, avocat entrepreneur
Ses études de droit entre Assas (Paris) et Columbia (New-York), le laissaient présager : Alexandre de Vigan a un pied en France, l’autre aux États-Unis où il passe désormais une semaine sur deux. Son diplôme d’avocat en poche, obtenu en parallèle d’un cursus à HEC, le jeune Bordelais a débuté sa carrière au sein du cabinet parisien Darrois Villey où il a mené des opérations de fusion-acquisition durant 4 ans. Puis après avoir participé à la création d’un cabinet d’avocat, Alexandre de Vigan décide de monter une première entreprise dans le secteur de l’immobilier. C’est cette première expérience entrepreneuriale qui lui inspire alors l’idée d’Hubstairs en 2017, devenue Nfinite en 2020.