Echos Judiciaires Girondins : Vous êtes un parfait autodidacte. Aviez-vous déjà en tête de devenir un homme d’affaires ?
Nicolas Lascombes : « Autodidacte oui, mais j’ai démarré avec un objectif. J’ai commencé à 17 ans et j’ai beaucoup travaillé pour les autres. Mais j’ai
toujours eu dans l’idée d’être patron. En 2006, ça m’a tellement rattrapé que je ne voyais pas d’autre alternative que de m’installer ».
EJG : Travailler avec Jean-Pierre Xiradakis, ça a été une bonne école ? Un tremplin ? Un déclic ?
N.L. : « En 99, je devais rejoindre mon cousin en Polynésie, j’avais déjà mon billet acheté sur les enchères de Nouvelles Frontières. Mais j’avais envoyé des CV dans le doute. Xiradakis m’appelle et me donne rendez-vous. J’y suis allé sans conviction. Le lendemain, j’embauchais à La Tupina. Il m’a dit « Si t’es bon, on ira loin ». « Oui je suis bon. » Surtout, il m’a parlé de respect des produits, de terroir, des traditions de grand-mère. Ça a tellement résonné que je me suis dit « je reste ». On a construit cette notion de terroir. Xira a commencé en 68, le locavore ça n’existait pas. Maintenant c’est très à la mode, mais lui a été précurseur. »
EJG : Comment vous êtes-vous lancé dans les affaires ?
N.L. : « Je suis parti de chez lui parce qu’il n’a pas voulu ou osé copartager. Il m’a bien proposé de rester comme directeur, mais moi j’avais un peu plus d’ambition. Ça a été une bonne école et le déclic de quelque chose que je portais en moi. C’est viscéral. J’ai recherché quelque chose de typique, genre bouchon lyonnais, mais je ne trouvais pas. Un soir, un agent m’amène voir La Goulue, comme ça s’appelait. Je me pince, c’est ce que je cherchais. Mais je n’avais pas d’argent. Alors le lendemain, je vais voir le banquier, je lui parle de mon projet : « Moi je le sens bien, et vous vous le sentez ? » Il m’a prêté 200 000 euros. »
EJG : Pourquoi a-t-il cru en vous ?
N.L. : « Il me connaissait de La Tupina. Ce qui fait un bon salarié, c’est la détermination, l’éducation et la rigueur. Si vous êtes rigoureux et déterminé, vous ne dérapez pas. Quelqu’un de sérieux et de commerçant, c’est ce que cherche un actionnaire. Quand on est avenant, on peut faire tout ce qu’on veut ».
EJG : Comment s’est construit votre groupe ?
N.L. : « Le Bouchon a beaucoup compté mais j’avais des ambitions. Je voulais un lieu de fête, de convivialité, où la cuisine soit visible, qui ne soit pas seulement un bistrot de midi. Deux ans plus tard, un agent me propose de visiter Le Nemo, un ancien restaurant à poissons (rue Saint-Rémi à Bordeaux). Un immense local de 740 m2, complètement à l’abandon depuis 10 ans. 450 000 euros… Je me dis c’est grand, c’est cher. Et puis j’ai dit OK sur un coup de tête en négociant une réitération le plus tard possible. Les banques m’ont suivi, mais on a eu 6 mois de travaux à payer sans aucun chiffre d’affaires. J’ai été obligé de vendre Le Bouchon. Il était temps, tout le monde faisait furax, la banque, les créanciers, les entreprises. On a bien fait : La Brasserie Bordelaise fait 5 millions HT, c’est vraiment une stabilité financière pour le groupe. Ensuite, il y a eu Boulan, une belle construction financière. Personne ne voulait racheter cette poissonnerie, c’est toujours un challenge d’investir ce dont personne ne veut. C’est pareil pour La Terrasse Rouge (Saint-émilion). Personne ne voulait travailler avec les Fayat. J’ai dû négocier avec eux, ça a été d’énormes discussions. Aujourd’hui, le resto est dans le Michelin. Même chose pour l’Hôtel de la Plage (Cap-Ferret). Tout le monde me disait : « N’importe quoi, ça fait à peine 1,5 million de chiffre d’affaires, c’est pourri, c’est pas rentable ». Finalement j’ai construit un actionnariat avec des partenaires qui y ont cru. »
EJG : Et pourquoi vous le vouliez tant ?
N.L. : « Parce que c’est le défi. Pourquoi vous voulez être champion du monde ? S’il n’y a pas de challenge, ça ne m’intéresse pas. Quand on sent que les autres n’ont pas osé, souvent pour des raisons financières, je me dis « je dois oser ! ».»
EJG : Comment expliquez-vous le succès de vos différents restaurants ?
N.L. : « Il faut des propositions originales. Au Bouchon, on avait une carte de vins à prix caviste. À La Brasserie, le local est très éclectique. Au Bouchon du Ferret, un restaurant dans une poissonnerie, ça n’existait pas. C’est un challenge dans lequel personne ne s’est lancé. On ne peut pas stagner. Il faut toujours trouver un peu d’avance pour être sur une zone de non-concurrence. Si tu n’amènes rien, tu disparais. Tu prends Greg, tous les 2 ans, il revient avec un nouveau concept. Il n’y a que Xiradakis qui ne façonne rien, lui c’est la statue. Lui c’est la Tour Eiffel ! »
EJG : Vous auriez pu réussir dans un autre domaine que la restauration ?
N.L. : « J’aurais pu faire autre chose, mais ce que j’ai de différent, c’est que j’aime recevoir. Après, c’est le hasard, j’aurais dû vendre des costumes, j’aurais habillé le président de la République ! »
EJG : Il y a une mode des chefs, comment vous positionnez vous ?
N.L. : « Si je monte un restaurant, c’est pour qu’il soit connu. La satisfaction, est-ce d’avoir des étoiles ? Il faut que ça marche et que les gens soient satisfaits, c’est ça la réussite. S’associer avec un chef étoilé, c’est quelque chose qu’on fera un jour, mais je ne me vois pas payer quelqu’un pour donner de la renommée. À La Terrasse Rouge, si le château devient en 2022 1er Cru Classé, il faudrait aller vers la gastronomie. Je peux m’associer avec un jeune chef, qui peut potentiellement être étoilé, mais me payer Magie ou un autre, je n’y crois pas. Ce n’est pas ma démarche. »
EJG : Gérer 8 établissements, c’est lourd…
N.L. : « Chacun a son potentiel de développement et sa spécificité. Il n’est pas question de se défaire de la clientèle internationale à La Terrasse Rouge. L’Hôtel de la Plage, c’est une institution qu’on va rénover en 2020, pour lui redonner de la noblesse. Au Puy Paulin, on est enfin à l’équilibre, on va pouvoir le développer. C’est une entité de bistrot terroir qui colle à notre identité. Au Petit Vestiaire, on est en avance sur notre temps. Je pense qu’à Bordeaux, on a besoin d’un resort qui n’existe pas : sportif, loisirs, médical, hôtelier, réceptif, restauration et même naturo-touristique. Il y a 23 hectares dans le parc. Dans deux ans, si tout va bien, il y aura un hôtel, un business center, et un resort. Quand vous réservez à l’hôtel, vous pourrez faire du tennis, de la balnéo, ou du badminton avec votre enfant. »
EJG : Comment se porte globalement votre activité ?
N.L. : « 2019 a mal démarré avec les Gilets Jaunes. Heureusement, les salariés sont très impliqués. On aura une croissance nulle cette année. »
EJG : Vous ouvrez bientôt un 9ème établissement au Château Marquis
de Terme à Margaux…
N.L. : « En tout cas, on va le diriger, mais il n’y aura peut-être pas notre nom dessus. Ce sera différent de La Terrasse Rouge. Pour Marquis de Terme, on fait son restaurant, alors qu’à La Terrasse Rouge, on fait restaurant. On a été leurs consultants pour créer le projet : salle de 50 ou 150 ? Faut-il une cheminée ? Cuisine ouverte ? Oui, carte des vins : 600 références, bistronomie plutôt que brasserie. On a tout conseillé mais pas tout décidé. C’est colorisé à leurs goûts, c’est leur identité de marque. On a 20 % de capital contre 80 % à La Terrasse Rouge. On est consultants minoritaires. On devait ouvrir en juin, mais on attend la commission de sécurité. On va sûrement ouvrir en catimini en août pour une inauguration officielle en septembre. »
EJG : Vous avez d’autres projets ?
N.L. : « Oui faire une Brasserie Bordelaise ailleurs. »
EJG : À Paris par exemple ?
N.L. : « Oui là ça commence à se confirmer. Là encore, on me dit que c’est casse-gueule mais où trouve-t-on à Paris un resto où on ne trouve à la carte que des bordeaux ? Abordables ? Défendus par les propriétaires ? Où ? C’est l’occasion de faire une Brasserie Bordelaise encore plus radicale et plus caractérisée, qui pourrait préfigurer la rénovation de celle-ci. »
EJG : Et New York, c’est toujours dans vos plans ?
N.L. : « Ça l’est toujours ! Dans la restructuration que l’on fait cette année, on a fait la Chapelle, le Familia, une plateforme de centrale de gestion des stocks de vin, on a dépassé 5 millions d’euros d’investissement. C’est difficile d’emprunter de nouveau mais on s’est gardé pour 2020 un projet de développement ; l’implantation à Paris et à l’étranger de la marque Brasserie Bordelaise. Le bordeaux, c’est ce qui est le plus connu dans le monde, ce serait dommage de ne pas s’en servir. Je veux porter notre bonne parole des vins et des bons produits de terroir de Bordeaux ailleurs. Pour New-York, on embauche un directeur du développement. On n’a rien réservé, mais on a structuré la société pour le faire.
»EJG : Avec qui discutez-vous de vos projets ?
N.L. : « Avec mon épouse Stessy. Elle a lâché son poste de commerciale dans le médical pour travailler avec moi. On cogère la société. C’est dur d’être seul, face aux actionnaires, aux banquiers. C’est plus facile au quotidien car c’est despotique, on décide. Maintenant, on réfléchit à deux. C’est moi qui tranche, mais je décide en fonction de l’avis d’une seconde personne. Parfois, elle arrive à me convaincre. »
EJG : Vous avez des regrets ?
N.L. : « Je me suis souvent trop minoré. J’ai trop discuté avec des personnes qui n’étaient pas d’accord avec moi. Il y a des moments où il faut se faire confiance et je ne l’ai pas fait assez. La Brasserie Bordelaise à Paris, ça fait
3 ans qu’elle devrait exister ! Plus on avance plus on sait. »
EJG : Votre nom, c’est un passeport dans les affaires maintenant ?
N.L. : « Vu le pedigree de l’entreprise, oui. On n’a jamais perdu un prud’homme, pas de créance impayée, pas de litige fournisseur, on s’arrange toujours pour trouver un accord. Les gens qui gravitent se disent, peut-être qu’on l’aime pas, mais factuellement, on est inattaquable. Une des qualités de cette entreprise, c’est d’être honnête. »