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Ostréiculteurs : après la tempête

En 6 mois, les ostréiculteurs du bassin d’Arcachon en ont traversé des tempêtes : celles liées au mauvais temps avec leurs effets néfastes et la tempête médiatique qui les a secoués avec l’interdiction de commercialiser les huîtres du 27 décembre au 19 janvier dernier. S’ils n’en sortent pas indemnes, ces passionnés de l’huître œuvrent pour retrouver la confiance.

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Laurent BIDART, dirigeant de Chez Bidart © Louis Piquemil - Echos Judiciaires Girondins

Pas la peine de leur rappeler la date. Tous les ostréiculteurs du Bassin se souviennent du 27 décembre dernier. Le couperet est tombé : la commercialisation des huîtres du bassin d’Arcachon était momentanément interdite en raison de la circulation d’un norovirus. En cette période de fêtes de fin d’année, le marché a été brutalement stoppé pour les ostréiculteurs alors qu’ils réalisent à ce moment précis une grosse partie de leur chiffre d’affaires annuel.

Le Grand Banc

« Ça a été un coup dur moralement », témoigne Benjamin Legeron, exploitant à La Teste-de-Buch. « Noël s’était très bien passé, on n’avait eu aucun mauvais retour, on a été coupés dans notre élan. ». Ostréiculteur depuis 5 ans, Benjamin Legeron a commencé à travailler dans une exploitation en tant qu’ouvrier : « Le problème c’est qu’ici il y a beaucoup de petites entreprises. On est soit ouvrier, soit chef d’entreprise ». Passé par le GRETA au lycée de la mer, il a créé son exploitation fin 2020 via le Syndicat Mixte des Ports du bassin d’Arcachon. Celui-ci lui a permis de trouver une cabane disponible et des parcs vacants. « Mes parcs sont situés sur le Grand Banc et au sud de l’île aux Oiseaux », témoigne-t-il. Ce qui lui a permis d’éviter les ensablements des tempêtes de l’automne.

La nurserie

Laurent Bidart, à la tête de l’entreprise Chez Bidart à Gujan-Mestras, a lui été impacté : ses parcs à huîtres situés au banc d’Arguin ont été ensevelis par les tempêtes d’automne. Il a dû se rabattre sur ses autres parcs situés également sur le Grand Banc. À la tête d’une des plus grosses exploitations du Bassin (150 à 200 tonnes par an), Laurent Bidart gère l’entreprise familiale depuis 34 ans, succédant ainsi à son père et son grand-père, en association avec son frère basé à Paimpol en Bretagne. Ses huîtres suivent un circuit particulier : « La nurserie (c’est le nom donné aux naissains, N.D.L.R.) est à Arcachon, explique-t-il, elles continuent leur cycle dans les eaux plus froides de Bretagne avant d’être affinées sur le Bassin. »

Vente directe

Petits et gros producteurs sont touchés par cette crise inédite. La fabrication d’une huître durant 3 ans, Benjamin Legeron a commencé par des huîtres en demi-élevage, le temps que ses naissains arrivent à terme. « Aujourd’hui, je sors mes premières huîtres que j’ai élevées à 100 % », se réjouit-il. Avec une production de 15 tonnes par an, il pratique comme beaucoup de petits exploitants la vente directe devant des commerces le week-end ou en passant par des grossistes pour les restaurants. Depuis le 27 décembre, il évalue la baisse de ses ventes entre 40 et 50 %. « J’avais commencé à construire une trésorerie pour l’année suivante, se désole-t-il, elle m’aide à passer ce cap délicat. Les investissements en matériel sont freinés, repoussés à l’an prochain. »

La conjonction des mauvaises passes

Laurent Bidart passe, lui, par plusieurs canaux de distribution. Plusieurs fois médaillées, ses huîtres sont très prisées des restaurateurs locaux, également disponibles en grande distribution, sur les marchés ou dans sa cabane de dégustation avec vue sur le Bassin. Là aussi, la baisse est importante : environ 50 % et jusqu’à 70 % pour la grande distribution. « Il y a une conjonction de mauvaises nouvelles : d’abord les tempêtes de l’automne, puis celle de janvier qui ont provoqué les ensablements, puis les pluies torrentielles qui ont causé les débordements, l’interdiction de commercialisation en décembre, et le manque de soleil qui pénalise la dégustation ! » Lui aussi a stoppé la partie investissements, mais se retrouve face à une autre contrainte : supporter la masse salariale (il compte 8 employés en production à Gujan) : « Je suis responsable de ces familles », remarque-t-il.

Benjamin LEGERON © Patrice Hauser

Benjamin LEGERON © Patrice Hauser

Pêche au thon

Dans la famille Réveleau, le choix a été de diversifier l’activité « pour ne pas mettre tous les œufs dans le même panier », s’amuse Vincent Réveleau. Ostréiculteurs de père en fils au Canon (Cap-Ferret) depuis 3 générations, c’est Philippe qui a repris l’exploitation. « Pour mon père, le caillou (= l’huître N.D.L.R.) c’est sa vie ! », sourit Vincent. Un amour du produit qui l’a conduit à lancer Edulis, une marque de cosmétiques à l’extrait d’huîtres. Philippe Réveleau se fait aider de ses 3 enfants, Alexia (qui développe également des projets artistiques), Martin et Vincent. Ce dernier a lancé différentes activités plus ou moins liées à l’ostréiculture : cabanes de dégustation, balades sur chaland (plate traditionnelle du Bassin), pêche dont celle consacrée au thon, ainsi qu’une résidence de tourisme : la Villa Aïtama. Soit 27 salariés qui œuvrent dans une ambiance joyeuse, même si ici aussi, le manque à gagner est sévère : « Tout s’est arrêté du jour au lendemain, se remémore Vincent Réveleau, il a fallu rembourser des clients, ça se répercute ensuite à tous les niveaux ».

Retrouver la confiance

Pour ces amoureux du Bassin et de l’huître, « ce produit naturel », les derniers mois ont été douloureux. Outre les problèmes économiques, il leur a été très difficile de supporter la suspicion ou les critiques. « Il y a eu des messages de haine sur les réseaux sociaux », se désole Benjamin Legeron. Deux mois après, tous notent encore une certaine réticence. « Derrière, la relance est très compliquée », note l’ostréiculteur qui s’est entendu dire : « On savait que vous étiez ouverts, mais on avait peur, on attendait… » Il faut donc retrouver la confiance du consommateur, « heureusement il y a les fidèles qui nous ont dit : « on vous fait confiance » », ajoute-t-il. « Ça va être dur jusqu’à Pâques », estime quant à lui Laurent Bidart. Il note d’autres raisons d’ordre économique et le beau temps qui se fait cruellement désirer.

#onouvre

Métier de passion, après les désillusions, l’heure est à la contre-attaque pour les ostréiculteurs. Le Comité National de la Conchyliculture vient de lancer une nouvelle campagne de communication intitulée « Retrouvons-nous ». Et pour célébrer le réveil de la saison ostréicole, le hashtag #onouvre. On ouvre quoi ? Les huîtres, les cabanes de dégustation, les bouteilles de vin ! Le réveil devrait être festif. « Je continue de promouvoir mon produit », défend Laurent Bidart, « J’ai accompagné mon président (Olivier Laban du Comité Régional de conchyliculture Arcachon Aquitaine) au salon de l’agriculture à Paris. Pour la journée de dégustation, nous avons ouvert 1 500 huîtres, il n’en est pas resté une seule ! » En attendant le retour du soleil, les plates retournent dans les parcs à huîtres… Cap vers le large !

 

Les investissements en matériel sont repoussés à l’an prochain

Dans la famille Réveleau, le choix a été de diversifier l’activité