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Pionnières de l’écologie

Bancs refuges d'insectes, enceintes musicales bluetooth à fabriquer soi-même... quatre entreprises ont été récompensées pour leur démarche compatible avec la transition écologique. Mais les consommateurs ont aussi leur rôle à jouer... Débat, à cette occasion, au ministère de la Transition écologique et solidaire.

Quatre prix « Entreprises et environnement » ont été remis à des entreprises, à Paris, le 12 décembre 2019, au ministère de la Transition écologique et solidaire. Objectif du concours ? Encourager et promouvoir les réalisations des entreprises qui intègrent l’environnement et le développement durable dans les diverses facettes de leurs activités, produits et services. 

Pour le thème de réparabilité et de durabilité des produits, c’est la société Craft’n Sound qui a été primée. Elle propose des enceintes musicales bluetooth en kit à réaliser soi-même, en une heure chrono. Les pièces détachées sont disponibles en ligne, pour une éventuelle réparation. « On a un rapport direct à l’objet. S’il tombe en panne, on peut le réparer. (…). Ce qui nous intéresse c’est que tout le monde soit capable de le faire », explique Nicolas Jacquemin, cofondateur de l’entreprise. Pour le prix sur la biodiversité, ce sont les « bancs refuges » de Défi-écologique, un collectif de huit entrepreneurs de l’économie sociale et solidaire, qui ont été distingués. Déjà, une quinzaine de ces bancs ont été déployés dans l’espace public. Ils abritent des refuges pour insectes divers, disposés sous l’assise. Le projet comporte aussi une dimension pédagogique et participative. « Un site internet permet de consulter des fiches pédagogiques, mais aussi de signaler les insectes vus sur le banc », explique Julien Hoffmann, dirigeant de Défi-écologique. 

Dans la catégorie innovation, le prix a été décerné à Ombra. La petite entreprise, née il y a deux ans et demi, a conçu un « système d’ombrières intelligentes » qui se déploient au dessus de cultures sensibles aux aléas climatiques, comme les vignes, en fonction de la météo, pour préserver l’ombre et l’humidité. « Les « green tech » sont un formidable vivier, créateur de valeur », commente Julie Davico-Pahin, cofondatrice de l’entreprise. 

Et enfin, dans la catégorie économie circulaire, c’est le projet Apifilm, un emballage alimentaire composé de tissu en coton biologique, qui a été récompensé.

La transition est aussi (en partie) un marché 

Si des entreprises s’engagent aujourd’hui dans la voie de la transition écologique, ce n’est pas exclusivement par vertu. Celle-ci est aussi devenue un marché, témoignait Olivier Dupont, fondateur, en 2004, de Demeter Partners, un fond d’investissement centré sur les énergies renouvelables et l’environnement. Il intervenait lors de la table ronde « Comment les entreprises innovent au service de la transition écologique ? » tenue à l’occasion de la remise des prix. Pour Olivier Dupont, aujourd’hui, « dans l’énergie, ce qui excite les investisseurs, c’est la « smart gestion », la gestion intelligente de l’énergie, le stockage. Le deuxième secteur qui est très tendance est la mobilité, notamment électrique. (…) Il y a aussi un grand domaine qui devient très tendance, c’est le « food », avec l’agriculture raisonnée et l’alimentation ». À l’inverse, deux domaines attirent peu les investisseurs : celui du bâtiment, et aussi, du recyclage. Concernant ce dernier, « le sujet est fondamental (…) mais il est difficile de trouver des business modèles nouveaux », analyse le capital investisseur. Il témoigne avoir lui-même perdu de l’argent, sur un projet avorté d’usine de recyclage de déchets de zinc.

Autre illustration de la complexité à trouver un modèle économique : « Il y a une telle différence de coût de la main d’œuvre pour produire un produit nouveau et pour le réparer qu’il faudrait augmenter la productivité de la réparation. Aujourd’hui, il y a un modèle qui fonctionne, c’est celui de la réparation du téléphone portable, car le produit vaut cher et que l’on peut automatiser le type de réparation », analyse Olivier Dupont. Globalement, d’après cet expert, pour que les investisseurs s’intéressent à un sujet, « il faut un contexte réglementaire pérenne. (…) il faut des domaines où les investissements ne soient pas colossaux. Les investisseurs veulent un retour sur investissement assez rapide, de l’ordre de cinq à sept ans. Là où le retour sur investissement est très long, cela ne les intéresse pas trop ». 

Le poids de la culture de l’accumulation 

Il faut alors un entrepreneur visionnaire pour donner l’impulsion… C’est le cas d’Yves Rocher, explique Claude Fromageot, directeur du développement durable du groupe de cosmétiques Yves Rocher et administrateur de la Fondation de l’entreprise. Il évoque l’expérience personnelle du fondateur de l’entreprise, sensible à la nature et en particulier aux forêts bretonnes. « Il faut des leaders pour inventer des voies nouvelles », explique Claude Fromageot, à propos de l’engagement de l’entreprise en matière d’économie circulaire. Par ailleurs, « le lien au territoire est fondamental pour que ces intuitions soient portées sur un topos », insiste Claude Fromageot. Pour lui, il est « évident » que l’entreprise doit changer pour faire face aux défis de la transition. Toutefois, « il me semble que cela reposera sur la conscientisation des populations », ajoute-t-il. 

À ce sujet, « ces changements ne peuvent pas reposer que sur les seuls consommateurs », estime Sophie Dubuisson-Quellier, directrice de recherche au CNRS, spécialiste de la consommation durable. La situation est complexe : les consommateurs sont massivement favorables à la durabilité des produits, mais « il existe un écart entre les discours et des pratiques », constate la chercheuse. Derrière ce paradoxe, c’est tout un système qu’il est difficile de faire évoluer. « Les consommateurs ont des attentes sur la durée de vie des produits, mais c’est un des éléments de notre rapport aux objets. Il existe une culture matérielle qui valorise l’idée d’accumulation et de renouvellement fréquent des objets (… ). Il y a une grande difficulté des consommateurs à s’extraire de ce modèle », pointe Sophie Dubuisson-Quellier. Aujourd’hui, la situation évolue, certains consommateurs érigent en modèle une sobriété choisie. Toutefois, des pratiques comme le réemploi ou la réparation « peuvent aussi se concilier avec une accumulation », met en garde la chercheuse. Ces tendances, marginales, n’en constituent pas moins une « inspiration prometteuse », porteuse « d’innovation sociale » pour demain.