Depuis l’émergence des mouvements #MeToo et #balancetonporc, les signalements de harcèlement moral et sexuel ont explosé dans les entreprises françaises. En 2024, les statistiques indiquent que 49 % des femmes actives sont victimes de harcèlement au travail et 20 % des femmes et des hommes déclarent connaître au moins une personne subissant un harcèlement sexuel sur son lieu de travail.
Les chefs d’entreprise se retrouvent aujourd’hui démunis face à cette recrudescence de signalements de situations vécues comme du harcèlement, et une absence totale d’accompagnement par les directions régionales du travail ou les services de santé.
Comment réagir lorsque l’on reçoit de l’un de ses salariés un signalement de faits pouvant caractériser du harcèlement moral ? Quel discours tenir ? Quel est le délai pour démarrer l’enquête interne ? Qui compose l’enquête ? Et surtout quelles en seront les suites ?
Autant de questionnements que le Défenseur des droits tente de résoudre, par des recommandations dans la tenue d’une enquête interne suite à un signalement de faits de harcèlement et/ou discrimination (Décision-cadre n° 2025-019 du 5 février 2025).
Prévention des risques professionnels en entreprise et obligation de santé et sécurité des employeurs
Techniquement, lorsque l’on reçoit un signalement d’un salarié s’estimant victime de faits de harcèlement moral ou sexuel, l’employeur a une obligation concomitante : protéger la santé de ce salarié, même si à ce stade, il n’est que présumé victime. Cette protection s’intègre dans le devoir plus large des chefs d’entreprise de santé et de sécurité de leurs salariés, et de prévention du risque professionnel.
Le premier réflexe qu’il faut avoir dans ce cadre est de suivre la procédure prévue par le règlement intérieur. Je rappelle qu’il existe une obligation de mettre en place un tel règlement intérieur pour toutes les entreprises de plus de 50 salariés. À défaut d’un tel règlement, il convient de traiter le signalement au plus vite et mener une enquête interne, en association avec le CSE s’il existe.
Mais concrètement, comment mener cette enquête interne ?
Le contenu de la décision-cadre
- En amont : faciliter le signalement
Dans un premier temps, il est préconisé aux entreprises de mettre en place un dispositif de signalement, facile à utiliser et permettant aux salariés d’émettre plus aisément une alerte sur une situation de souffrance au travail. Ce dispositif peut être mis en place via une adresse e-mail dédiée, ou par éventuellement un chat en ligne dédié sur l’outil de discussion professionnel de l’entreprise.
Ce dispositif de signalement doit être accessible à tous salariés, peu importe leur contrat, mais également aux stagiaires, intérimaires, apprentis et bénévoles. Bien naturellement, ce dispositif ne doit pas priver les salariés d’émettre un signalement auprès d’une personne de confiance dans l’entreprise (voire au référent harcèlement du CSE s’il en existe un).
Ce dispositif devra être diffusé dans l’entreprise, et connu des salariés notamment par le biais d’un affichage, voire selon les recommandations du Défenseur des droits, à travers plusieurs canaux (lettre d’information interne avec la fiche de paie, présentation lors de réunions d’équipe).
Le signalement est le point de départ de l’enquête interne. Il s’agit du mécanisme par lequel le salarié signale une situation à l’employeur, entraînant l’obligation pour ce dernier de traiter le signalement par la réalisation d’une enquête interne.
Le signalement est le point de départ de l’enquête interne
- Recueillir le signalement et ouvrir l’enquête
Une fois que le signalement a été émis, il convient de solliciter du salarié un écrit si cela n’a pas déjà été fait, le plus circonstancié possible, détaillant précisément les faits datés, le nom d’éventuels témoins, et des éléments probants (SMS, e-mails, photographies).
Cet écrit devra générer, le plus rapidement possible, l’ouverture d’une enquête interne. Le délai doit être bref. La Cour de cassation sanctionne un délai d’un an pour ouvrir l’enquête (Cass. Soc. 23 mars 2022, n° 20-23272). À ce titre, le Défenseur des droits préconise d’ouvrir cette enquête dans un délai maximum de deux mois.
Si les faits sont d’une extrême gravité et pourraient entraîner un trouble manifestement illicite à la santé du salarié présumé victime et à l’entreprise, la mise à pied conservatoire du salarié présumé harceleur reste une option le temps de l’enquête et de la décision qui sera prise.
En tout état de cause, l’idéal serait d’aménager les conditions de travail des protagonistes (télétravail, changement de planning ou d’horaires, pose de congés payés, dispense d’activité rémunérée, etc.), afin que durant l’enquête, il y ait le moins de contacts possibles entre eux, sachant que l’arrêt maladie de l’un d’eux n’empêche pas la tenue de l’enquête.
- Le déroulement de l’enquête
L’employeur doit fixer précisément en amont la méthodologie de l’enquête interne et proposer la constitution d’une commission d’enquête au CSE s’il existe (calendrier, liste du personnel auditionné, liste des questions à poser).
Cette commission d’enquête (selon la taille de l’entreprise et sa structuration) devra procéder à l’information préalable des protagonistes de l’ouverture de l’enquête, ainsi que l’information de la Dreets et du service de santé. La commission d’enquête devra être composée d’au moins deux personnes pour garantir l’impartialité. Elle se chargera également d’auditionner les salariés (présumé(s) victime(s), témoins, et enfin présumé(s) harceleur(s)).
La commission d’enquête devra être composée d’au moins deux personnes pour garantir l’impartialité
Cette commission d’enquête doit naturellement être composée de salariés n’ayant pas de liens avec les protagonistes et n’ayant pas connaissance des faits signalés, pour garantir distance et neutralité. Le Défenseur des droits recommande également qu’au moins l’un de ses membres ait une formation juridique solide et actualisée sur les discriminations au travail et le harcèlement.
L’enquête peut également être externalisée (auprès d’un cabinet d’avocats ou de psychologues du travail notamment). En tout état de cause, l’employeur doit s’enquérir des compétences juridiques des intervenants.
Il est naturellement obligatoire d’informer les élus avant le démarrage de l’enquête et à la fin de l’enquête de son compte rendu. Le Défenseur des droits rappelle (et cela a son importance) que cette enquête sera strictement confidentielle et une attestation de confidentialité devra être signée individuellement par les personnes auditionnées et par les enquêteurs.
Si la personne auditionnée souhaite rester anonyme, il est préférable de préserver cet anonymat dans le rapport ainsi que dans la phase de restitution de l’enquête.
- Suites et fin de l’enquête
À la suite de l’enquête, la commission d’enquête devra rédiger un rapport permettant d’en rapporter la conclusion à l’employeur, qui fondera sa décision sur la base des éléments découverts. La nouveauté de ces recommandations est que l’employeur doit conserver ce rapport confidentiel. Ce rapport pourra être communiqué aux élus du CSE en version anonymisée, après accord de la victime.
Le Défenseur des droits conclut ensuite qu’il convient, pour qualifier ou non les faits de harcèlement, de se tourner vers un conseil juridique et de ne pas minimiser ni justifier les faits par le comportement éventuel de la victime. L’employeur doit garder une appréciation objective, neutre, et loyale des éléments. La sanction de l’auteur des faits devra être « effective, proportionnée et dissuasive » selon le Défenseur des droits.
De ma pratique, il est également recommandé de ne pas s’arrêter à l’enquête interne, une fois que cette dernière sera terminée, mais de procéder à la mise à jour du document unique d’évaluation des risques, et de faire intervenir un tiers médiateur ou psychologue du travail. Cette procédure peut être longue et douloureuse pour beaucoup.
À vous de tenter de retrouver un climat social serein et apaisé.