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Gironde : Les défis du tourisme durable

ENQUÊTE - Côté pile, il y a la documentation touristique qui fait la promotion du « slow tourisme » et du tourisme durable pour répondre à une demande et aux défis liés au réchauffement climatique. Et côté face, des entreprises innovantes qui font bouger les lignes mais peinent parfois à trouver leur marché. Comment les start-ups bordelaises La Bulle Verte, We Go GreenR ou encore FiG font évoluer leurs modèles sur un marché en devenir mais pas encore mature ?

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Frédéric Nau, cofondateur de La Bulle Verte © Louis Piquemil - Echos Judiciaires Girondins

La carte postale de la Gironde : les vignobles bordelais, ses plages qui s’étendent du Verdon-sur-Mer au bassin d’Arcachon, sa forêt de pins. Premier département touristique de la Nouvelle-Aquitaine, la Gironde attire. Le tourisme contribue de fait au développement économique du territoire. Le secteur représente 7 % du PIB départemental, 40 000 emplois. Son activité génère 3,2 milliards d’euros de dépenses directes des touristes.

Mais « le tourisme doit relever les défis du changement climatique, des nouvelles tendances de consommation, autrement dit anticiper sa transformation », souligne le département. Parmi les orientations qu’il s’est fixées figure l’accélération des transitions vers un tourisme écoresponsable. L’agence de développement Gironde Tourisme reconnaît pousser, en particulier, la filière vélo. Plus globalement, depuis 2023, elle favorise, avec l’Ademe et le Comité régional du tourisme de Nouvelle-Aquitaine, la création de séjours bas-carbone. « Avant, c’était un tourisme de niche, aujourd’hui, c’est une petite part du tourisme », explique Cédric Naffrichoux, adjoint du directeur général au pôle itinérance et écotourisme de Gironde Tourisme.

L’ensemble de la filière concernée

Mais s’il y a aujourd’hui un emballement autour de ces sujets de durabilité dans le tourisme, Marion Oudenot-Piton, responsable du service industries de loisirs à l’Agence de développement et d’innovation de la Nouvelle-Aquitaine (ADI NA), entend clarifier les choses : « Cela fait longtemps que les acteurs du tourisme prennent en compte ces sujets qu’ils intègrent dans leurs exploitations, leurs évolutions. Les campings réfléchissent, par exemple, à comment récupérer l’eau de pluie, comment la réinjecter dans les sanitaires, comment consommer moins d’eau potable ou alimenter des mobile-homes avec des panneaux photovoltaïques. Cela fait longtemps aussi que, dans les hôtels, les draps et les serviettes ne sont pas changés tous les jours. C’est rentré dans les mœurs », souligne-t-elle.

Ceci étant dit « la question du changement climatique bouleverse les activités. Et toute la filière est concernée par ces transitions : les lieux de visite, la restauration, l’hébergement », explique Manon Cosson, cheffe de projets Industries des loisirs chez ADI, en charge du Tourisme Lab, le laboratoire d’innovation touristique formalisé en 2020.

Des innovations venues d’autres filières

Les grandes tendances touchent précisément les questions énergétiques. Et pour accompagner les entreprises touristiques dans leur transformation, ADI – avec son prisme business et sa brique d’open innovation – va chercher des solutions qui existent dans d’autres secteurs. « La diversification marché est ce que nous faisons le mieux. Nous permettons à une entreprise qui se développe dans une autre filière de venir conquérir le marché touristique », explique Marion Oudenot-Piton.

Sur les énergies, c’est par exemple le cas de Prima Coating en Charente-Maritime qui a développé une peinture capable de bloquer les apports thermiques du rayonnement solaire et ainsi améliorer le confort d’été. « Selon les sujets, nous allons chercher des solutions dans des clusters ou des pôles de compétitivité. »

Idem avec la problématique du dernier kilomètre. « La question est de savoir comment permettre un voyage décarboné sans couture avec des solutions pour les cinq à dix kilomètres restants. » Pour cela, la stratégie est identique. « Nous allons voir ce qui se fait dans la logistique urbaine et le commerce pour voir si c’est applicable au domaine du tourisme qui a une particularité : il faut pouvoir déplacer des familles avec des enfants et des bagages », précise Marion Oudenot-Piton.

Le difficile passage à l’échelle

ADI accompagne également des start-ups via le Tourisme Lab qui a créé l’incubateur TiPi 535 en 2021. Mais pour les entreprises innovantes qui se lancent spécifiquement dans le tourisme, c’est compliqué. « C’est difficile dans le tourisme, encore plus dans le tourisme durable, la difficulté étant de trouver le bon marché à adresser », témoigne Laurent-Pierre Gilliard, directeur de la prospective et de la communication à Unitec, partenaire de TiPi 535 dans l’accompagnement des entreprises bordelaises. Puis « si l’idée est bonne, le passage à l’échelle est difficile. Nous sommes sur un marché en devenir mais pas encore mature ».

Un constat également posé par Manon Cosson qui espère que le Tourisme Lab agisse en tiers de confiance. « Nous avons beaucoup de très petites entreprises qui doivent réussir à vendre leur solution à un nombre suffisant mais difficilement atteignable en tout cas rapidement. Il faut du temps pour faire adopter de nouvelles innovations et faire confiance. Or les start-ups n’ont pas forcément la cote », reconnaît-elle.

De moins en moins de projets innovants émergent. La problématique de la levée de fonds n’y est probablement pas étrangère. « Les entreprises à impact qui ne sont pas techniques ou technologiques ont du mal à lever des fonds », témoigne Manon Cosson. Pour Laurent-Pierre Gilliard, l’heure est aussi encore à l’évangélisation sur ces sujets de durabilité. « Le nautisme, en particulier, est un secteur qui n’est pas facile à décarboner car compliqué à convaincre », témoigne Manon Cosson.

De moins en moins de projets innovants émergent. La problématique de la levée de fonds n’y est pas étrangère

S’adapter, pivoter

Preuve de cette difficulté à trouver son marché, We Go GreenR, à Bordeaux, a fait évoluer son modèle économique et pivoté. L’entreprise s’était lancée en 2020 avec la création d’une plateforme de réservation qui répertorie les hébergements écoresponsables. Premier constat : « 80 % des établissements déjà engagés déclaraient vouloir aller plus loin. Nous avons donc eu l’idée d’être un apporteur d’affaires en créant un référencement de solutions. Sauf que cela n’avait pas de sens pour les établissements qui n’avaient pas démarré leur démarche. Nous avons donc créé un programme d’accompagnement pour les établissements qui souhaitent enclencher la transition durable », explique Stéphane Vincent-Montagnon, cofondateur de We Go GreenR.

97 % des revenus de l’entreprise proviennent aujourd’hui de cet accompagnement en BtoB. « De janvier à mars, nous avons fait notre premier trimestre rentable en 4 ans et nous sommes au stade où nous pouvons passer à l’échelle. Mais si nous étions restés sur le modèle initial, nous aurions disparu comme nos concurrents historiques. Car pour arriver à survivre, il aurait fallu faire un volume d’affaire absolument conséquent, à savoir au moins 10 ou 15 millions de réservations par an. »

Le coup de pouce de la réglementation

De son côté, l’entreprise bordelaise FiG (Food Index for Good) qui accompagne la transition de la restauration commerciale s’était lancée avec pour ambition de créer un label. « Mais il ne se serait adressé qu’à très peu de restaurateurs », confie Élise Baron, cofondatrice. L’entreprise propose donc un accompagnement aux restaurateurs qui veulent améliorer leur empreinte environnementale et se focalise sur la valeur économique que peut apporter la démarche écoresponsable. Elle vante ainsi le double enjeu : économie/écologie. Indépendamment de sa prestation d’accompagnement, FiG a développé un calculateur d’empreinte carbone pour compléter son action et travailler justement le passage à l’échelle. « Nous avons le sentiment que le marché arrive. Il y a des économies à aller chercher », souligne Élise Baron.

Les contraintes réglementaires participent aussi à la transformation des acteurs et We Go GreenR les voit d’un bon œil. « Cela fait augmenter le niveau », assure Stéphane Vincent-Montagnon. Et de citer Atout France qui a fait évoluer son référentiel de classement des hôtels de tourisme. « 20 % des hôtels sont obligés de se former tous les ans. En revanche ce n’est obligatoire que pour les hôtels et l’obligation ne va pas assez loin », regrette Stéphane Vincent-Montagnon qui met par ailleurs en avant un frein : « dans l’hôtellerie, les prises de décision sont longues, les périodes entrecoupées de vacances. Cela va moins vite que prévu », confie-t-il.

La mobilité, ce chaînon manquant

Dans le secteur du slow tourisme, La Bulle Verte est également engagée mais garde un œil lucide. D’un côté, la demande est là : « Je constate, depuis deux ou trois ans, une accélération de cette recherche de tourisme de sens », témoigne Frédéric Nau, cofondateur de cette entreprise bordelaise qui crée, avec les sites d’accueil, des itinéraires découvertes en mobilité douce qui comprennent des points d’intérêt auxquels sont associés des contenus (vidéo, audio, photo). L’objectif est de permettre au visiteur de s’immerger dans le territoire. Car il en est convaincu, « la simple visite ne suffit plus ».

Il pointe en revanche du doigt un point noir : la mobilité. « Pour aller jusqu’au bout du raisonnement, il faut permettre à des voyageurs qui ne veulent pas utiliser leur voiture, d’avoir recours à des solutions de mobilité à l’échelle du territoire. Or aujourd’hui, à la sortie du train, sur un quai de gare, je fais comment pour rejoindre mon point d’expérience. Tout le monde est prêt à développer le slow tourisme, mais il y a un chaînon manquant qui freine le développement, c’est la mobilité. » La solution ? « Cela peut être la mise à disposition d’une flotte de vélos, de petits véhicules ou encore d’un transport collectif organisé de façon vertueuse. » La Bulle Verte travaille précisément sur ce chaînon manquant et devrait être en mesure de faire une première expérimentation au cours de l’été 2025.

La revitalisation des territoires

S’il se positionne sur ce créneau du slow tourisme, c’est aussi parce qu’il considère que la diversification de l’activité est une nécessité pour des acteurs tels que les châteaux et domaines. Mais là aussi, Frédéric Nau soulève un autre frein. « Ces acteurs sont financièrement peu aidés dans la diversification. Beaucoup de subventions sont disponibles pour produire mais sont sous-développées pour la vente, l’accueil, la commercialisation. Or si nous ne proposons pas des solutions pour aller découvrir ces sites, ce sont des écosystèmes qui vont mourir. Nous sommes face à un sujet de revitalisation des territoires et le slow tourisme est pour moi une arme très forte pour contribuer à la revitalisation et à la vie dans les territoires. C’est presque un projet de société. »

C’est la raison pour laquelle Frédéric Nau persévère avec un montage finement pensé. « Le premier étage, c’est la bulle verte et ses expériences de slow tourisme. Le deuxième, c’est l’agence réceptive que j’ai créée qui propose des séjours en s’appuyant sur les bulles vertes. Le troisième consistera à proposer des solutions pour imaginer un tourisme sans voiture demain. Tout est imbriqué, c’est un projet global. »

Une dynamique Clé Verte dans la métropole bordelaise

Sur les 1 665 établissements labellisés Clé Verte en France, 185 sont situés en Nouvelle-Aquitaine dont 71 en Gironde avec 42 nouveaux lauréats cette année. « La dynamique est particulièrement importante dans la métropole bordelaise où nous avons signé avec la collectivité un partenariat territorial. Ces partenariats sont des accélérateurs de mobilisation », assure Nathalie Bel Baussant, responsable du label Clef Verte et directrice du pôle tourisme durable de l’association Teragir qui porte, en France, ce label de tourisme durable pour les hébergements touristiques et les restaurants. De façon pratique, l’accompagnement des hôteliers dans leur dépôt de dossier Clef Verte leur permet de bénéficier d’une aide financière de Bordeaux Métropole (à hauteur de 80 %) et du Club Hôtelier de Bordeaux Métropole (20 %) sur la prise en charge des frais d’audit de première année. La métropole a également accompagné des restaurants dans le cadre d’une expérimentation avec l’entreprise bordelaise FIG. « L’idée est de transformer l’offre pour qu’elle soit responsable et que les gens qui viennent à Bordeaux pratiquent le tourisme durable, qu’ils le fassent consciemment ou non », explique Brigitte Bloch, présidente de l’office de tourisme et des congrès de Bordeaux Métropole.

Les lauréats du label Clef Verte lors de la cérémonie nationale qui s’est tenue à Bordeaux. © Charlotte Barbier – Bordeaux Métropole