Le dirigeant du début du XIXe siècle encourrait jusqu’à 20 ans de travaux forcés en cas de banqueroute, aujourd’hui punie d’une peine maximum de 5 ans d’emprisonnement. Quant à la responsabilité civile du dirigeant, instituée en 1967, la loi prévoyait alors une présomption de faute là où les tribunaux doivent aujourd’hui motiver en quoi cette faute n’est pas qu’une simple négligence.
Ainsi au fil des siècles et des réformes, le droit est parvenu à dissocier la répression du débiteur fautif de la protection de l’entreprise. C’est l’essence même de la mission du chef d’entreprise que de prendre des décisions qui engagent l’entreprise mais aussi qui l’exposent à titre personnel.
Lorsque l’entreprise est confrontée à des difficultés économiques, et le lecteur n’ignore pas l’augmentation significative du nombre de procédures collectives ouvertes par les tribunaux (lire p. 20), le dirigeant d’aujourd’hui est plus que jamais aux commandes… et seul, alors que les risques de voir sa responsabilité personnelle engagée augmentent sensiblement.
Dans ce contexte, il nous apparaît pertinent d’exposer les différents risques encourus par le dirigeant, ici quant à sa responsabilité civile, plus précisément quant à la responsabilité pour insuffisance d’actif, dont l’objectif est de réparer le préjudice de la personne morale avec le patrimoine du dirigeant fautif.
Cadre légal et cible
L’article L. 651-2 du Code de commerce permet au tribunal, en cas de liquidation judiciaire, d’imposer au dirigeant fautif et à son patrimoine personnel de supporter l’insuffisance d’actif de l’entreprise.
Cette action vise tous les dirigeants de droit ou de fait, ainsi que les entrepreneurs individuels, voire certains dirigeants associatifs.
Les parties pouvant engager cette action devant le tribunal ayant ouvert ou prononcé la liquidation judiciaire sont le ministère public, le liquidateur ou, à défaut d’action de ce dernier, une majorité de créanciers contrôleurs.
Le délai de prescription pour agir est de trois ans à compter du jugement prononçant la liquidation judiciaire.
La faute de gestion : une notion centrale
La responsabilité pour insuffisance d’actif repose sur l’existence d’une faute de gestion. Cette notion, bien que non définie par les textes, a été affinée par la jurisprudence, qui s’assure qu’elle excède la simple négligence, cas excluant l’engagement de responsabilité du dirigeant depuis la loi Sapin II du 9 décembre 2016.
La responsabilité pour insuffisance d’actif repose sur l’existence d’une faute de gestion
En termes de temporalité, dans le cadre d’une liquidation judiciaire directe, la faute doit avoir été commise antérieurement au jugement d’ouverture. En revanche, si un plan de redressement a été adopté, la faute de gestion devra avoir eu lieu entre le jugement adoptant le plan et celui prononçant sa résolution.
Exemples jurisprudentiels – Plusieurs situations typiques permettent de caractériser cette faute :
Préjudice et lien de causalité
Pour engager la responsabilité du dirigeant, il est nécessaire que la faute ait contribué de manière directe ou indirecte à l’insuffisance d’actif. L’insuffisance d’actif représente la différence entre le passif vérifié (ce qui exclut les dettes postérieures au jugement d’ouverture) et l’actif réalisé.
Les juges évaluent non seulement l’existence d’un préjudice pour la personne morale, mais aussi le lien de causalité entre cette faute et la situation déficitaire. Cette exigence repose sur un examen approfondi des faits et comportements. Le tribunal doit établir un lien causal direct entre la faute de gestion et ce déficit, retenu dès lors que le dirigeant a contribué au préjudice.
Ainsi, la notion de faute de gestion incarne une responsabilisation accrue des dirigeants. Elle met en exergue la nécessité pour ces derniers d’adopter une gestion rigoureuse et conforme à leurs obligations légales, sous peine d’être appelés à répondre personnellement des conséquences de leurs choix stratégiques.
Sanctions et effets
Le tribunal conserve une marge d’appréciation quant au montant des condamnations. L’insuffisance peut être supportée en tout ou partie, par tous les dirigeants ou certains d’entre eux et solidairement ou non. Les sommes recouvrées entrent dans le patrimoine de l’entreprise liquidée et sont réparties au prorata entre les créanciers.
Le tribunal conserve une marge d’appréciation quant au montant des condamnations
Autres cadres de responsabilité civile
L’article L. 631-10-1 du Code de commerce, issu de la loi Pétroplus (12 mars 2012), permet d’ordonner des mesures conservatoires sur les biens du dirigeant avant même la liquidation judiciaire. Cette disposition, bien que rare, s’applique aux situations de cessation des paiements où une faute quelconque a contribué à cette cessation et conduit non pas à l’indemnisation de l’insuffisance d’actif mais à une condamnation en paiement de dommages et intérêts.
La responsabilité civile générale du dirigeant
Rappelons enfin que le code de commerce prévoit (Articles L. 223-22 ou L. 225-51 par exemple) classiquement que les dirigeants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion. Ici la faute dans la gestion n’a pas forcément les mêmes contours que la faute de gestion.
Actions individuelles des créanciers
Les créanciers conservent un recours direct fondé sur le droit commun contre un dirigeant pour toute faute distincte de la faute de gestion leur ayant causé un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers.
Face aux enjeux juridiques et économiques actuels, le dirigeant doit veiller à articuler une vision stratégique et une gestion prudente, la responsabilité pour insuffisance d’actif rappelant les risques pesant sur le dirigeant négligent (ou peu rigoureux ?).