Echos Judiciaires Girondins : Malgré la défaite en finale, l’UBB sort d’une saison 2023-2024 exceptionnelle ?
Laurent Marti : C’est en effet une saison très positive pour l’UBB ! Être en finale du Top 14, une première pour le club, ça ne va pas nous arriver tous les ans. Il faut savoir profiter de cette progression et de tous ces moments forts et de souffrance que nous avons partagés jusqu’à la finale. Enfin, il faut aussi se servir de cette très lourde défaite en finale pour nous aider à mesurer tout le travail qu’il reste à accomplir.
La dernière marche
EJG : Que manque-t-il encore à l’UBB pour franchir cette dernière marche ?
L. M. : Il manque peut-être encore beaucoup… Je compare ça à une étape de cols de montagne ! Vous passez certaines catégories, mais la dernière est parfois la plus difficile. Ce que nous avons appris, c’est qu’il faut arriver à mieux gérer son effectif tout au long de la saison pour ne pas arriver épuisé en phases finales même si je ne veux pas me réfugier derrière cette excuse. On a été humilié à cause de la fatigue accumulée et qui explique l’ampleur du score mais jamais je ne dirai que l’on a perdu à cause de la fatigue. Nous n’avons pas cette prétention face à un Stade toulousain qui est incontestablement la meilleure équipe au monde.
Il faut arriver à mieux gérer son effectif tout au long de la saison pour ne pas arriver épuisé en phases finales
EJG : Au-delà du côté sportif, en tant que dirigeant, y a-t-il encore des évolutions à apporter dans votre organisation pour progresser ?
L. M. : Bien sûr ! J’ai eu la chance de jouer pendant une saison avec les Reichel (équivalent de la catégorie espoirs aujourd’hui) du Stade toulousain qui trustaient déjà les titres, et ce, depuis déjà plusieurs années. Cela montre bien tout le chemin à parcourir pour un club comme l’UBB qui est reparti du fond de la ProD2 il y a seulement 17 ans. Je fais surtout partie de ces gens qui, en sport comme en entreprise, s’inspirent de la réussite des autres. Le Stade toulousain, comme le Leinster ou l’Afrique du Sud, sont des modèles et il faut puiser partout les raisons du succès pour continuer à grandir. C’est la même chose que dans le monde de l’entreprise. Pourquoi certains de nos concurrents font mieux que nous ? C’est ça qui nous aide à progresser.
EJG : Dans un club, le lien entre le président et son manager (ici Yannick Bru) est une des clés de la réussite ?
L. M. : C’est hyper important ! Si on prend l’image de l’avion, on est deux à piloter dans la cabine avec la responsabilité de tous ceux qui sont derrière. Bien sûr, chacun a son rôle, mais quand on est deux dans une cabine de pilotage, il vaut mieux bien s’entendre.
EJG : Dans cette nouvelle saison qui a démarré début septembre, il était important de bien débuter pour oublier la défaite en finale ?
L. M. : Je peux comprendre que les gens craignaient que nous ayons des séquelles après la gifle reçue. En interne, je ne me suis vraiment jamais inquiété de la manière dont on allait rebondir car dès le dimanche après la finale, j’ai préparé la réunion du lundi avec Yannick Bru pour se projeter sur la nouvelle saison. Pour le premier match cette saison, à domicile contre le Stade français (victoire 46-26), ce qui me tenait à cœur c’était de montrer que notre victoire en demi-finale contre ce même adversaire n’était pas volée comme certains l’ont laissé penser.

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Trouver un équilibre entre les jeunes joueurs et les plus expérimentés
EJG : Quels sont les objectifs fixés cette saison ?
L. M. : Aucun ! Nous n’en avons pas parlé avec Yannick et avec les joueurs, car tout le monde les connaît (rires)…
EJG : Pour répondre à la problématique du manque de fraîcheur physique en fin de saison, vous avez recruté des joueurs étrangers d’expérience comme Carbery, Gray, Swinton…
L. M. : C’est difficile de trouver un équilibre avec une équipe qui ne serait constituée que de jeunes ou de vieux. Avec un tiers par tranche d’âge, on a déjà une bonne base. Quand on est touché comme nous par l’absence de sept internationaux français, il faut recruter de très bons joueurs qui ne soient pas appelés par leurs pays au même moment. Nous avons donc cherché ces profils dans notre recrutement.
EJG : Cette période de rentrée, c’est aussi le moment de recruter pour la saison prochaine. Vous recherchez quels profils en priorité ?
L. M. : L’année dernière, il fallait augmenter la qualité de l’effectif dans sa profondeur. Là, on sait qu’il faudra moins de joueurs, mais avec une très forte valeur ajoutée pour aider ce groupe à franchir un palier. Après, on fera ce qu’on pourra, car les joueurs ne sont pas des produits que l’on trouve dans un catalogue ou sur un site Internet. Néanmoins, l’UBB reste un club attractif.
Nombre record d’abonnés
EJG : Vous affichez un nombre record de plus de 17 000 abonnés cette saison ?
L. M. : On a une hausse de +50 % sur les abonnements particuliers ! Dès le lundi après la finale, on a reçu un nombre impressionnant de messages de remerciements et d’encouragements qui m’ont fait réaliser que nous aurions un engouement exceptionnel. Ceci est dû aussi au fait que c’était notre première finale.
EJG : Un mot sur Toulouse, un club et une ville que vous connaissez bien ?
L. M. : C’est un club qui a su se façonner au fil des ans. J’ai le souvenir de Skrela et Villepreux, et avant eux, Robert Bru, qui défendaient un style de jeu où l’on fait vivre le ballon. Derrière, Guy Noves a apporté de la combativité, le sens de la gagne. Ils ont progressivement rajouté des cordes à leur arc, tout en formant bien et en s’appuyant sur des anciens joueurs qui ont cette culture club et de la compétence à tous les niveaux. On loue, à raison, le jeu à la toulousaine mais on oublie que cela passe d’abord par la combativité de leurs avants.
100 nouveaux partenaires
EJG : En termes de partenaires, comment se porte l’UBB ?
L. M. : Nous avons 750 partenaires, dont une centaine de nouveaux, allant de la petite entreprise aux grands groupes nés à Bordeaux et qui rayonnent partout en France et à l’international. Dans un contexte économique difficile, c’est un très bon résultat et le fruit d’un travail collectif de nos équipes. Nous organisons beaucoup d’animations avec UBB Business Club (déjeuners entre partenaires, rencontres avec les joueurs, UBB grands crus, tournois de golf, de tennis, une journée sur le bassin…) afin que nos partenaires puissent aussi rencontrer des prospects. Ils viennent pour la partie plaisir, pour supporter le club de sa ville, mais aussi pour faire du business. À nous de les y aider.
EJG : Ce sont essentiellement des partenaires girondins ?
L. M. : Oui car il y a de la concurrence avec d’autres clubs de Top 14 ou de ProD2. Côté public, beaucoup de supporters viennent des départements limitrophes et entraînent, avec une moyenne de 28 000 spectateurs à chaque match, de fortes retombées économiques sur l’agglomération bordelaise. N’oublions pas non plus l’aspect social. Le stade est l’un des seuls lieux qui réunit toutes les couches sociales de la population.

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Avec une moyenne de 28 000 spectateurs à chaque match, l’UBB génère de fortes retombées économiques sur l’agglomération bordelaise
EJG : L’UBB affiche un budget de 30 millions d’euros, le huitième du Top 14. De quoi est-il constitué ?
L. M. : Pour bâtir un budget, on commence déjà par les dépenses (dont 55 % proviennent de la masse salariale). On connaît ensuite les recettes reversées par la ligue et c’est à nous derrière d’aller chercher le public et les partenaires. Depuis la saison 2019-2020, l’UBB n’est plus en difficulté financière grâce à nos bons résultats et l’arrivée de nouveaux partenaires. À ma connaissance, seuls Toulouse et La Rochelle, basés sur l’économie réelle, sont dans la même situation et peuvent présenter des budgets à l’équilibre ou bénéficiaires, comme c’est le cas pour l’UBB.
EJG : Face à une grosse concurrence en Top 14, ce budget peut-il encore augmenter ?
L. M. : Malheureusement, nous atteignons un plafond de verre dû principalement aux capacités du stade Chaban-Delmas qui est très limité sur ce qu’on peut faire autour, notamment le réceptif. Quand j’ai lancé une augmentation de capital il y a quatre ans, j’étais plus inquiet sur l’avenir du club, car les déficits étaient chroniques. Aujourd’hui, nous avons investi, nous nous sommes structurés et nous avons eu de bons résultats sportifs et donc plus de recettes pour développer le club et s’il en manque, je serai toujours là.
Quel avenir pour l’UBB ?
EJG : Des projets sont-ils prévus au stade Chaban-Delmas ?
L. M. : Nous avons inauguré une nouvelle boutique et une nouvelle bodega. Nous restons très attachés à Chaban, comme 90 % de nos supporters. À ce jour, nous délocalisons un match chaque saison au Matmut. Peut-être en ferons-nous un deuxième, mais ça n’est pas à l’ordre du jour.
EJG : Comment voyez-vous l’avenir du club à plus long terme ?
L. M. : Il existe plusieurs pistes pour assurer la pérennité du club, quand j’aurai décidé de céder la place. Ce n’est pas à l’ordre du jour, mais je l’ai toujours un peu à l’esprit. Quel que soit le recul que je prendrai, je m’assurerai que le club reste sur de bonnes bases autour de personnes proches comme Jean-Paul Calès (Cap Ingelec), Benjamin Salah (Human Immobilier) et Marc Prikazsky (CEVA). Si on participe à la construction d’un club qui s’écroule quand on part, c’est qu’on n’a pas fini le boulot. Cela passe donc par un premier puis plusieurs titres.
Quel que soit le recul que je prendrai, je m’assurerai que le club reste sur de bonnes bases autour de personnes proches
EJG : Parmi les chantiers menés, celui de la formation est une réussite avec de nombreux professionnels formés au club et internationaux (Lamothe, Jalibert, Deportère…) ?
L. M. : C’est une obligation ! C’est important pour l’identité du club, mais aussi pour la masse salariale et notre équilibre économique. Un jeune joueur, même si ça a pas mal évolué ces dernières années, coûtera moins cher qu’un joueur confirmé de 25 ans. Je salue le travail réalisé par les clubs de Gironde avec qui nous sommes très proches.
EJG : Quel regard portez-vous sur la situation du club de foot des Girondins de Bordeaux ?
L. M. : Quand on se débattait pour se maintenir en proD2 en 2009, eux étaient champions de France de Ligue 1. C’est dramatique ce qu’ils vivent et c’est la conséquence de gens qui sont là uniquement pour le profit. Cela me dérange profondément et ça n’est pas du tout ma façon de vivre le sport. C’est une leçon à retenir.
EJG : Le rugby français est-il à l’abri de telles déconvenues ?
L. M. : Il y a moins d’argent en jeu dans le rugby. Je fais partie des présidents qui se sont battus pour que la règle du salary cap soit bien encadrée afin d’éviter que des gens trop fortunés viennent pourrir notre sport. Ma vision, c’est que tout le monde ait à peu près les mêmes moyens au départ de la compétition et que le meilleur gagne à la fin selon le travail effectué, les compétences… Et aujourd’hui on a un championnat très disputé et passionnant. On sait d’ailleurs que le Top 14 pourrait être vendu plus cher, mais pour faire quoi après alors que nous avons un diffuseur historique (Canal Plus) qui nous accompagne depuis de nombreuses années ?
EJG : Entre un titre en Top 14 ou en coupe d’Europe, une préférence ?
L. M. : Le Top 14 sans hésitation ! Tous les clubs du Top 14 jouent le championnat, mais pas forcément la coupe d’Europe… Après, si vous me dites demain qu’on gagne la coupe d’Europe, je signe tout de suite (rires). Sur la présence des provinces sud-africaines, je suis un peu déçu de voir que ça n’a pas attiré plus de public.

© Louis Piquemil – Echos Judiciaires Girondins
Dirigeant de Kariban à Toulouse et président de club de rugby à Bordeaux
EJG : Vous êtes aussi un chef d’entreprise (dirigeant de Kariban, marque de vêtements d’image). Comment organisez-vous votre emploi du temps entre les deux activités ?
L. M. : Physiquement je suis à 90 % à l’UBB car j’ai la chance d’avoir des équipes, dans mon entreprise, qui gèrent les affaires et l’opérationnel même si je suis souvent en contact avec elles. Cela m’arrangerait beaucoup si mon entreprise était à Bordeaux et pas à Toulouse, mais sur les 500 collaborateurs de Kariban, 350 sont au siège à Toulouse. Alors c’est moi qui me déplace là-bas.
EJG : Dans un climat mondial difficile, comment se porte votre entreprise ?
L. M. : Comme pour tout le monde, 2024 est difficile, mais l’activité est stable. On gagne même des parts de marché quand des concurrents baissent. Nous montons en gamme, en qualité de produits et de services grâce à notre travail et notre remise en question en s’inspirant de ce qui se fait dans la mode.
EJG : Vous repensez parfois à vos débuts en tant que président de l’UBB ?
L. M. : Oui souvent, car c’est beaucoup plus dur que le parcours d’un chef d’entreprise alors que j’ai pourtant démarré en bas de l’échelle en vendant des briquets à Bergerac pour faire aujourd’hui 280 millions d’euros de chiffre d’affaires. Ce parcours de chef d’entreprise était plutôt linéaire et agréable comparé à celui de président de l’UBB où nous avons eu des moments difficiles, mais avec une adrénaline incomparable.
CHIFFRES CLÉS
30 : Le budget de l’UBB cette année s’élève à 30 millions d’euros, soit le 8e du Top 14
21 : Nombre d’internationaux dans l’effectif professionnel
26 : Membres du staff de la section professionnelle
28 280 : Moyenne de spectateurs au stade Chaban-Delmas, la meilleure affluence d’Europe
42 000 : Record d’affluence pour un match de l’UBB au stade Matmut
17 328 : le nombre d’abonnés pour la saison 2024-2025, un record pour le club
750 : Nombre de partenaires
32 500 : Capacité totale du stade Chaban-Delmas
DATES CLÉS
2006 : Naissance de l’Union Stade bordelais-CA Bordeaux Bègles, après la fusion entre le Stade bordelais université club et le Club athlétique béglais.
2008 : Le club prend le nom d’UBB, Union Bordeaux-Bègles
2009 : Premier match à Chaban contre Agen
2011 : L’UBB bat Albi en finale de ProD2 et accède au Top 14
2015 : Première qualification en coupe d’Europe
2016 : Les espoirs sont sacrés champions de France
2022 : Première qualification en demi-finale du Top 14
2024 : Première finale du Top 14