Couverture du journal du 03/12/2024 Le nouveau magazine

Cité du Vin : nouvelles perspectives

Pendant l’interview, la réponse tombe. Le roi Charles III, de passage à Bordeaux, ne fera pas de crochet par la Cité du Vin ! Une déception pour Philippe Massol, son directeur, qui se dévoue depuis 15 ans à ce lieu culturel bordelais, de sa conception puis son lancement, à son exploitation. Avec un plan d’investissement de 8 millions d’euros, le musée, inauguré en 2016, a fait peau neuve pour s’ouvrir de nouvelles perspectives et attirer davantage de visiteurs...

philippe massol, Cité du vin, Bordeaux

Philippe Massol, directeur de la Cité du Vin à Bordeaux ©Atelier Gallien - Echos Judiciaires Girondins

Échos Judiciaires Girondins : La Cité du Vin a annoncé un plan d’investissement de 8 millions d’euros, permettant notamment le renouvellement du parcours permanent. Quelle est votre stratégie ?

Philippe Massol : « On avait prévu de faire des changements progressifs mais significatifs dans l’exposition permanente d’ici 2026. On a profité de la période du Covid pour réfléchir à ce nouveau programme évalué à 8 millions d’euros. Les financeurs étaient OK, et on a appris que la Région pouvait financer 50 % dans le cadre du plan de relance. En revanche, tout devait être achevé en juin 2023. C’était il y a 1 an et demi, on a foncé ! Parallèlement, on redémarre un projet d’entreprise qui va s’appuyer sur 3 grandes ambitions d’ici 2025 : la satisfaction ou le bien-être des collaborateurs, même si on est déjà très heureux d’être là ; la satisfaction des visiteurs, il faut que la note de recommandation soit la plus élevée, on travaille notamment avec le Net Promoter Score (NPS) ; et enfin la partie développement durable qu’on poursuit. La chance ici c’est qu’on a un bâtiment récent, on a la certification NF Environnement-Sites de visite. »

Le nouveau parcours permanent a coûté 8 millions d’euros

EJG : Les visiteurs sont-ils de retour après les arrêts dus à la période Covid ?

P.M. : « Les visiteurs ont mis plus de temps à revenir dans les équipements culturels que dans les parcs de loisirs ou d’attractions. En ce qui nous concerne, ça a été majoré parce qu’on a une clientèle qui était composée à près de 50 % d’étrangers en 2019, ce qui est beaucoup. Concrètement, le début d’année 2022 a été très compliqué et ce n’est qu’à partir de la période estivale que la fréquentation a commencé à revenir à la normale. C’est encore tôt pour l’affirmer, mais au mois de février, si on se réfère à 2022, on est en progression de 15 à 20 %. Février semble marquer le retour à la normale. »

 

EJG : Quelles sont vos ambitions de développement ?

P.M. : « Là on sort d’une grosse période de travaux et de changements alors on va attendre un peu (rires). On fonctionne sur un modèle classique d’entreprise. Par rapport à notre positionnement, on refera le point plus tard, rien n’est définitif. La seule contrainte que l’on a par rapport à d’autres équipements culturels, c’est que notre activité doit être rentable. »

 

EJG : Quel est votre modèle économique pour assurer cette rentabilité justement ?

P.M. : « Dans l’équilibre économique de la fondation, il n’y a pas d’argent public, pas de subventions, on fonctionne sur nos recettes propres. On a 4 sources de revenus : la billetterie qui représente 70 % des recettes, 10 % pour la boutique de l’univers du vin, 10 % de la privatisation des espaces et un peu d’ingénierie et 10 % du mécénat. En tant que fondation d’utilité publique, le mécénat fait partie de nos recettes propres. Si on en enlève une des trois, la fondation n’a plus d’équilibre. Selon les années, avec 400 000 visiteurs environ, on a un chiffre d’affaires de 10 à 11 millions d’euros. »

 

EJG : Le mécénat reste un axe fort de votre financement…
P.M. : « C’est un vrai projet public/privé qui a une forme surprenante puisque sur le budget de construction de 81 millions d’euros, 21 millions ont été apportés par les mécènes, ce qui fait de très loin le projet d’équipement culturel le plus mécéné en France. Pourquoi ? Parce que le ministère de l’Économie et des Finances a accepté que nos mécènes puissent être ceux de l’économie du vin. Sans ce mécénat territorial, dont 90 % sont liés à l’activité du vin, on n’aurait pas pu faire un tel projet. Aujourd’hui, la Cité du Vin compte 140 mécènes. Sur l’année 2023, 35 mécènes sont directement impliqués dans les transformations : 21 sur le renouvellement de l’exposition permanente, 5 sur le parcours immersif de dégustation, 8 sur la programmation culturelle et 1 sur la démarche développement durable. »

Notre contrainte, par rapport à d’autres équipements culturels, c’est que notre activité doit être rentable

EJG : Vous avez également une activité importante de privatisation des espaces ?

P.M. : « Tous nos espaces sont privatisables : l’auditorium, les différents salons et salles, le parcours permanent, le belvédère… C’est une activité qui marche bien et rapporte près de 1 million de chiffre d’affaires par an. On voudrait surtout miser sur les activités proposées. Sur les visites privatisées, seuls 20 à 25 % font une activité. Les gens viennent pour être dans le lieu, mais on aimerait qu’ils utilisent davantage nos équipements culturels.

On réfléchit à des astuces pour attirer les visiteurs sur la tranche horaire 19/20 à travers l’offre tarifaire de l’expo permanente ou à travers notre nouveau parcours de dégustation immersif Via Sensoria. C’est une manière de s’adapter à la demande. »

 

EJG : Les tarifs de privatisation vont évoluer ?

P.M. : « Oui, sur le parcours permanent, on avait un prix fixe. On l’a transformé en fonction du nombre de visiteurs, ce qui a pour conséquence de baisser la facture de manière significative. »

 

EJG : Concernant le parcours permanent, qu’est-ce qui va changer ?

P.M. : « On a apporté de la simplicité, de la participation, de l’accessibilité. On est passé de 12 h à 6 h de contenu total. C’est important car on avait des personnes déçues de ne pas avoir le temps de tout voir. Cela générait de la frustration, il fallait trop chercher sur les écrans. La durée moyenne du parcours reste la même : 1 h 30 ! Le parcours permanent a bien changé : les incontournables sont toujours là, mais il y a aussi beaucoup de nouveautés. Certaines installations ont disparu, la scénographie a changé. On a notamment la notion d’accessibilité : le contenu est plus simple à découvrir. On introduit plus de nature, plus d’humain, c’était une demande du public. »

 

EJG : Le nouveau parcours immersif Via Sensoria s’inscrit dans la même stratégie ?

P.M. : « Le constat qu’on a fait pendant 5 ans d’expositions temporaires, c’est qu’elles étaient faites pour attirer la clientèle bordelaise et locale, mais ça ne s’est pas traduit dans les chiffres. La fréquentation des expos – sauf celle sur Picasso qui était exceptionnelle mais a coûté très cher – n’a pas répondu à ce que l’on attendait. Ces expositions sont très onéreuses et n’ont pas fait revenir, comme on l’espérait la clientèle bordelaise. C’est frustrant. Il y avait un vrai décalage entre le positionnement de la Cité et son aménagement avec les expositions. Même si elles étaient très qualitatives, elles étaient sur des normes muséales classiques. Ce n’était pas une déclinaison directe de notre positionnement, ça pouvait surprendre. À l’inverse, on nous demandait plus de dégustations. De là est née l’idée d’être plus dans notre ADN avec l’aménagement d’un espace immersif comprenant une partie dégustation. Ce parcours Via Sensoria a coûté 1,4 million d’euros. »

 

EJG : Comment fonctionnent les différentes propositions de la saison culturelle ?

P.M. : « On a les ateliers afterworks, ça cartonne ! On va devoir rajouter des dates, plus seulement le jeudi soir. La clientèle est très hétéroclite et plutôt fidèle. On sait que certaines thématiques marchent moins bien, c’était le cas par exemple l’an dernier avec la dégustation de rosés. Ce n’est pas suffisamment différenciant, on peut en boire partout. Par contre, récemment, on a proposé la dégustation de 3 vins d’Europe de l’Est, dont un ukrainien et c’était complet. Les Ciné-gourmands sont aussi complets à chaque fois, ça représente 150 personnes. Mais c’est lourd car il faut organiser le repas, la dégustation. On le propose donc 2 à 3 fois par an. C’est pour ça qu’on avait besoin de faire entrer une nouvelle offre suffisamment attractive. Via Sensoria ne ressemble pas au parcours, on ne vient pas pour apprendre mais pour vivre une expérience multisensorielle. On déguste et on découvre avec les 5 sens. C’est très familial, car il y a aussi le parcours sans vin. Ça ouvre le spectre des potentiels visiteurs. Les habitants du territoire vont-ils venir ? Et revenir ? »

 

PHILIPPE MASSOL À LA GÉNÈSE DE LA CITÉ DU VIN

Le hasard fait parfois bien les choses… Prenez Philippe Massol, ancien directeur des opérations du Futuroscope. Resté 11 ans à la tête de ce parc de loisirs, il a pu assister à son ascension, passant de 200 000 à plus de 3 millions de visiteurs. Fort de cette expérience, il monte en 2000 un cabinet d’ingénierie dans l’univers du tourisme et de la culture. Arrivé à Bordeaux pour suivre son épouse en 2006, il découvre dans un dossier magazine des 50 personnes qui comptent à Bordeaux, le profil de Sylvie Cazes. « Vous êtes au courant du projet du centre culturel du vin ? », interroge-t-elle lorsqu’il entre en contact avec elle. Ce n’est pas le cas, mais Philippe Massol coche toutes les cases. « Et c’est comme ça qu’on a démarré en 2008 », se félicite-t-il. Tout est à écrire : l’étude (2009), le concours architectural (2011), les travaux (2013) et enfin l’inauguration en 2016 de la Cité du Vin. « Tout le monde voulait un bâtiment à l’architecture événementielle et contemporaine pour se projeter dans le futur, un peu comme le Guggenheim à Bilbao, et c’est réussi. »