Echos Judiciaires Girondins : Vous avez créé au mois de juillet l’association AIR Nouvelle-Aquitaine. Pour quelle raison avez-vous décidé de rassembler les différents professionnels qui accompagnent les entreprises en difficulté ?
Romain du Plantier : AIR Nouvelle-Aquitaine, c’est un acronyme pour Association Insolvabilité et Restructuration en Nouvelle-Aquitaine. Mais c’est plus que cela, le mot « Air » avait une réelle signification pour nous lorsque l’on a créé l’association. Que l’on soit administrateur judiciaire, mandataire judiciaire, avocat, banquier, universitaire, expert-comptable, ou greffier dans le monde du « restructuring » (droit des entreprises en difficultés), notre point commun est d’agir au bénéfice d’entreprises qui manquent d’air et qui risquent l’asphyxie. Nous contribuons tous, chacun avec notre rôle, à leur donner un second souffle.
L’idée de cette association est partie du constat qu’il existe une nouvelle génération d’acteurs qui oeuvrent dans ce secteur de la restructuration d’entreprises en difficulté en Nouvelle-Aquitaine. Et ces acteurs travaillent sans parfois s’être identifiés ou même se connaître. L’objectif est de pouvoir les rassembler au sein d’un lieu un peu moins formel qu’une salle d’audience.
EJG : Quelles missions s’est fixée l’association ?
R. du P. : La première est de permettre aux professionnels de mieux se connaître pour mieux travailler ensemble, avec cette idée de privilégier la coopération à la compétition. La deuxième est que nos métiers sont assez méconnus, la matière peut paraître obscure. Nous voulons montrer au plus grand nombre notre valeur ajoutée en insistant sur la dimension positive de notre action. Souvent la matière effraie, on ne connaît que le dépôt de bilan, la faillite, la liquidation judiciaire… D’ailleurs je le signale, le terme de faillite n’a pas de réalité juridique aujourd’hui.
Ces mots sont stigmatisants alors que le droit français ne l’est pas. La dernière grande loi du 26 juillet 2005 est la loi de sauvegarde des entreprises. Il est important de faire de la pédagogie sur ces sujets-là. C’est aussi la raison pour laquelle nous allons organiser des événements ouverts au public.
Enfin, le droit est une matière mouvante, avec des réformes qui se succèdent. Ces réformes ont besoin du regard du législateur mais aussi des praticiens. On a estimé que cela pouvait être l’occasion pour la région Nouvelle-Aquitaine et ses acteurs du restructuring de peser dans le débat publique.
EJG : Selon Altares, au 2e trimestre 2023, le nombre de défaillances a augmenté de 35 %. La Nouvelle-Aquitaine a retrouvé le niveau de défaillances du T2 2016, avec 1 100 défauts. Comment expliquez-vous ces chiffres ?
R. du P. : En moyenne en France, avant la période covid, on comptait environ 55 000 procédures collectives par an. Tout le monde prévoyait un tsunami de défaillances avec la pandémie. Il n’en a rien été : le nombre de procédures collectives est tombé à un niveau historiquement bas à 28 000 défaillances en 2021. Pour deux raisons : les aides publiques et l’attitude des créanciers publics, notamment l’Urssaf, qui ont arrêté d’assigner les entreprises. L’effet de diminution a été important parce que les aides ont été massives.
La politique du « quoi qu’il en coûte », c’est 240 milliards d’euros dont 140 milliards pour le PGE. En comparaison, au moment de la crise de 2008, le plan de relance de Nicolas Sarkozy représentait 30 milliards d’euros.
EJG : La vague de défaillances attendue depuis des mois est donc bien en train de déferler ?
R. du P. : Le nombre de procédures augmente, je le vois au niveau de mon activité, depuis septembre 2022. Mais c’est un mouvement de rattrapage par rapport à une situation anormale que l’on a connu pendant la crise sanitaire. Cela s’explique par les tendances macroéconomiques négatives, avec le coût de l’énergie, l’inflation, les tensions sociales, la hausse des taux d’intérêt, mais également la fin des aides publiques et le remboursement des prêts garantis par l’État (PGE) qui peut mettre en difficulté certaines sociétés. Il est probable que l’on dépasse le seuil des 55 000 procédures collectives annuelles. D’autant plus que les assignations Urssaf devraient reprendre de plus belle en cette rentrée.
EJG : Concernant les PGE justement, quel est le risque pour les entreprises qui l’ont consommé et n’ont pas anticipé les remboursements ?
R. du P. : 140 milliards d’euros ont été distribués aux entreprises par le biais des PGE. Aujourd’hui, un peu plus de 90 milliards restent dus. Pour 70% des PGE, la dernière année de remboursement est 2026. On s’attend en 2026 à des problèmes d’ampleur qui pourraient d’ailleurs mettre aussi à mal l’État. Un rapport récent du secrétaire de la commission des finances du Sénat estime que les pertes pour l’État seraient comprises entre 1,4 et 5,3 milliards d’euros.
C’est un sujet majeur actuellement, il est important d’anticiper les remboursements du PGE et ne pas attendre d’être étranglé. Aujourd’hui, les PGE peuvent être renégociés par deux canaux principaux, la médiation du crédit ou la procédure de conciliation.
EJG : Quel est le profil des entreprises en difficulté actuellement ?
R. du P. : Il y a eu des exemples assez médiatisés de grandes entreprises touchées, notamment Camaïeu, San Marina, Burton… Pour autant les difficultés concernent plutôt massivement les petites entreprises. On remarque aussi une hausse des procédures préventives (mandat ad hoc ou conciliation) : le conseil national des administrateurs et mandataires judiciaires estime cette hausse à 25% en 2022. C’est une très bonne nouvelle ces procédures fonctionnent. 75% d’entre elles aboutissent à un accord. Cela montre aussi que l’anticipation des difficultés est en train d’entrer dans les mœurs. Certains pensaient que ces procédures confidentielles étaient réservées aux grandes entreprises, aujourd’hui les TPE et PME y ont recours aussi et ça marche !
EJG : Est-ce que certains secteurs vous semblent plus touchés par la hausse des défaillances ?
R. du P. : Oui, les entreprises du domaine viticole et les start-up souffrent. Concernant ces dernières, au 1er trimestre 2023, il y a eu au niveau mondial une baisse importante des levées de fonds (en France, au 1er trimestre 2023, selon le baromètre EY du capital risque, les levées de fonds ont connu une chute en valeur de 49 %, ndlr). Cela a marqué la fin d’un cycle, la fin de l’argent pas cher. Sont arrivés dans mon bureau, beaucoup de jeunes entrepreneurs qui se retrouvaient en difficulté car ils n’avaient pas réussi à lever de fonds.
EJG : Récemment plusieurs start-up bordelaises ont connu des difficultés : Sunday, Marbotic, KazoArt, My Eli… Comment expliquez-vous ce contexte général ?
R. du P. : Les problématiques, pour les start-up en général, sont souvent les mêmes. Elles ont besoin de gagner du temps, en attendant soit un apport d’argent frais par des investisseurs soit une cession.
Dans d’autres cas, la solution ne se trouvait plus dans les procédures préventives, mais l’issue était une procédure collective (un redressement ou un liquidation). Souvent parce qu’ils réagissaient trop tard et que les situations étaient malheureusement trop dégradées.
EJG : Et concernant le monde viticole ?
R. du P. : Le contexte de surproduction conjugué à l’épisode de mildiou engendre de grandes difficultés pour le vignoble bordelais. Les volumes sont trop importants, les prix s’effondrent.. On voit de vraies difficultés poindre chez les viticulteurs. Encore une fois, plus ils réagissent tôt plus le spectre des solutions est large.
EJG : Quels sont les premiers signes qui doivent alerter un dirigeant quel que soit son secteur d’activité et la taille de son entreprise ?
R. du P. : Sur un plan opérationnel : quand l’entreprise se trouve en situation de dépendance économique, quand elle commence à avoir des impayés de certains de ses clients, lorsqu’un cadre ou un dirigeant quitte l’entreprise et qu’il y a un risque de désorganisation de l’activité. Il faut aussi être en alerte lorsqu’une banque dénonce un encours bancaire, ou lorsqu’un bailleur vous met en demeure en visant la clause résolutoire du bail commercial. Sur un plan financier : un carnet de commandes ou un chiffre d’affaires en baisse, une trésorerie qui fond, la défaillance d’un client ou d’un fournisseur, lorsque les capitaux propres sont inférieurs à la moitié du capital social, un endettement qui représenterait plus de deux tiers du passif. Quand vous êtes dans l’une de ces situations, une lumière rouge doit s’allumer, cela peut avoir un effet en cascade et être rapide.
Procédures préventives ou collectives ?
Pour aider une entreprise en difficulté, il existe deux types de procédures : les mesures préventives qui sont confidentielles (le mandat ad hoc et la conciliation) et les procédures collectives qui sont publiques (la sauvegarde, le redressement et la liquidation). « La confidentialité des mesures préventives permet de préserver l’écosystème de l’entreprise puisque ne vont être mises au courant que les partenaires que l’on décide d’amener autour de la table, insiste Romain du Plantier. « Les procédures publiques sont plus coercitives mais les effets seront plus forts. La sauvegarde et le redressement judiciaire ont le même effet, c’est-à-dire le gel des dettes antérieures, et elles donnent le temps pour préparer une solution de sortie qui passera par un plan de sauvegarde ou de redressement. »
Fédérer les professionnels du restructuring
Créée en juillet dernier, l’association AIR NA rassemble 25 adhérents, professionnels de l’accompagnement des entreprises en difficulté. Le bureau de l’association, présidée par Romain du Plantier (avocat, ELAYA), regroupe des administrateurs judiciaires, Aurélien Morel (vice-président de l’association, ASCAGNE AJ SO) et Antoine Fédry (AJILINK VIGREUX), un mandataire judiciaire, Jacques de Latude, un représentant de la banque Thémis, Quentin Hardon, et deux avocats, Claire Golias (ELLIPSE AVOCATS) et Benjamin Meziane.
Pour les contacter : contact@airna.fr